Vivre sous le même toit : les foyers multigénérationnels au Canada (mise à jour au Recensement de 2016)

Nathan Battams

Dernière mise à jour au 2 octobre 2017

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Le foyer est au cœur de la vie de famille. C’est là que les liens familiaux se forgent et évoluent tout au long de l’existence. C’est aussi le point d’ancrage des ressources familiales, notamment les ressources financières, la nourriture, l’espace vital et l’énergie personnelle. Enfin, c’est le lieu où la famille procure les soins et le soutien nécessaires à chacun. La gestion des ressources familiales constitue un facteur particulièrement important pour les quelque 404 000 ménages multigénérationnels au Canada en 2016 (c’est-à-dire qui comptent trois générations ou plus). Ayant connu la plus forte croissance entre 2001 et 2016 (+37,5 %), ce type de ménage regroupe 2,2 millions de personnes, soit 6,3 % de la population canadienne (contre 4 % en 2001).

Pour les ménages de cette catégorie, la mise en commun des ressources et de l’espace de vie est notamment tributaire du contexte démographique et socioéconomique, et les moyens mis en œuvre pour s’adapter et progresser sont des indicateurs pertinents pour mieux comprendre les relations familiales et la résilience de la famille.

De plus en plus d’aînés vivent avec leurs petits-enfants

Les relations intergénérationnelles sont en hausse au Canada. En effet, compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’espérance de vie, les générations se côtoient désormais un peu plus longtemps, ce qui favorise la création et la consolidation des liens. Selon Statistique Canada, les personnes de 65 ans ou plus représentent maintenant 16,9 % de la population totale; pour la première fois dans l’histoire canadienne, ils sont plus nombreux que le groupe des moins de 15 ans. L’espérance de vie atteint un sommet inégalé : à l’âge de 65 ans, les femmes peuvent espérer vivre encore 21,9 années (soit jusqu’à 87 ans) et les hommes encore 19,0 années (soit jusqu’à 84 ans).

La mobilité accrue de même que les progrès réalisés dans les domaines des soins à domicile, du transport public et des technologies d’assistance contribuent désormais à multiplier les possibilités pour les aînés en ce qui concerne le choix du lieu de résidence et du mode de vie. Par conséquent, ils sont de plus en plus nombreux à vivre sous le même toit que leurs enfants et leurs petits-enfants.

Des études montrent que la proportion d’enfants de 14 ans ou moins vivant avec leurs grands-parents est en hausse. Ainsi, 4,8 % des enfants cohabitaient avec au moins un de leurs grands-parents en 2011 (par rapport à 3,3 % en 2001). La plupart du temps, les parents font aussi partie du portrait de famille, mais les données les plus récentes du Recensement de 2016 montrent que plus de 32 000 enfants vivent uniquement avec leurs grands-parents (c’est-à-dire sans les parents) au sein d’un ménage « sans génération intermédiaire » (en hausse de 8,3 % par rapport à 2011).

La cohabitation multigénérationnelle est plus répandue chez les familles autochtones et immigrantes

Au sein de la population canadienne, la proportion de familles autochtones et immigrantes est en hausse. Ces familles sont plus susceptibles d’inviter grand-papa et grand-maman à partager leur foyer, ce qui contribue à l’augmentation du nombre de ménages multigénérationnels. De fait, 11 % des grands-parents d’identité autochtone cohabitaient avec leurs petits-enfants en 2011 (soit 14 % des grands-parents parmi les Premières Nations, 22 % chez les Inuits et 5 % chez les Métis).

 

De même, les familles immigrantes font une plus large part à la cohabitation multigénérationnelle que les familles nées au Canada. Pour les nouveaux arrivants, ce mode de vie constitue souvent une solution financièrement viable durant la période d’établissement dans leur nouveau pays. D’après les conclusions de Statistique Canada, les immigrants arrivés au pays durant leur enfance ainsi que les Canadiens de la deuxième génération sont plus susceptibles de cohabiter avec un parent que les Canadiens de la troisième génération ou des générations subséquentes. En 2011, les immigrants représentaient 26 % de la population totale chez les 45 ans et plus, mais on y retrouvait toutefois plus de la moitié (54 %) de tous les grands-parents cohabitant avec leurs petits-enfants au pays en 2011.

De plus en plus de jeunes adultes vivent au domicile parental

Les ménages multigénérationnels (comportant trois générations) représentent à peine 2,9 % de tous les ménages privés au Canada, mais ces statistiques méritent une certaine interprétation. En effet, la définition de Statistique Canada ne tient pas compte des ménages composés uniquement des parents et de leurs enfants d’âge adulte, même s’il s’agit en fait d’un mode de cohabitation bigénérationnel en pleine croissance depuis plusieurs décennies, notamment en raison des difficultés que rencontrent les jeunes sur le marché du travail, de l’endettement étudiant galopant et de l’augmentation du coût de la vie.

Parmi le groupe d’âge des 20 à 29 ans, la proportion de jeunes adultes qui vivent au domicile parental est passée de 27 % en 1981 à 42 % en 2011. D’après les plus récentes données du Recensement de 2016, plusieurs Canadiens au début de la trentaine cohabitent aussi avec leurs parents. Ainsi, au cours de la quinzaine d’années qui se sont écoulées depuis 2001, la proportion de jeunes adultes de 20 à 34 ans vivant sous le même toit qu’au moins un des parents est passée de 31 % à 35 %, et celle des 30 à 34 ans est passée de 11 % à 14 %. Ce virage sociétal a contribué à faire reculer les préjugés envers les jeunes adultes qui vivent chez leurs parents, consolidant à leur tour la même tendance.

Compte tenu de l’allongement de la durée de vie des aînés, de la hausse du nombre de familles autochtones et immigrantes (où la cohabitation multigénérationnelle est plus commune) et de l’augmentation du nombre de jeunes adultes qui demeurent au domicile parental, il y a fort à parier que la cohabitation multigénérationnelle occupera une place de plus en plus importante au Canada. Du reste, le coût élevé du logement joue également un rôle à cet égard : le prix moyen d’une maison atteint désormais plus de 478 696 $ au pays, culminant à 1 029 786 $ dans la région du Grand Vancouver.

Dans les ménages multigénérationnels, les aînés sont à la fois fournisseurs et bénéficiaires de soins

Certaines familles choisissent la cohabitation multigénérationnelle pour que les plus jeunes puissent s’occuper de leurs proches vieillissants, qui bénéficient ainsi de la présence d’êtres chers dans un milieu familial. De fait, la présence régulière des membres de la famille contribue à réduire l’isolement social chez les aînés, un phénomène qui entraîne un vaste éventail de conséquences néfastes pour la santé et le bien-être, comme l’ont montré certaines études. Il s’agit là d’un aspect particulièrement important pour les grands-parents devenus veufs, qui représentent effectivement le quart des grands-parents vivant en cohabitation.

Dans d’autres cas, ce sont plutôt les aînés qui fournissent les soins et le soutien au sein d’un ménage multigénérationnel, et plusieurs apportent aussi une contribution financière importante. En effet, plus de la moitié d’entre eux (soit 50,3 %) disent participer d’une manière ou d’une autre aux dépenses du ménage, et une proportion encore plus importante de ceux-ci contribuent financièrement lorsque la génération intermédiaire est constituée d’un parent seul (75 %) ou dans le cas d’un ménage caractérisé par l’absence d’une génération (80 %).

Par ailleurs, plusieurs des quelque 600 000 grands-parents qui vivent sous le même toit que leurs petits-enfants s’occupent de ces derniers pendant que les parents sont au travail, à l’école ou occupés à faire les courses. Il s’agit d’une aide qui vaut son pesant d’or, puisque le coût des services de garde occupe parfois une part considérable des revenus familiaux. Le soutien est particulièrement le bienvenu pour les parents d’enfants en bas âge, puisque les places en garderie sont non seulement les plus rares, mais aussi les plus chères, le coût dépassant souvent la somme de 1 000 $ par mois (sauf au Québec où les coûts sont beaucoup moins élevés en raison d’une politique de places en garderie à 7,75 $ par jour). Selon un rapport publié en 2015 par le Centre canadien de politiques alternatives, Toronto surpassait toutes les autres villes canadiennes au chapitre du coût des services de garde à plein temps pour un nourrisson, alors que le coût mensuel médian dans une garderie non subventionnée atteignait plus de 1 700 $.

Au sein d’un ménage multigénérationnel, c’est souvent la génération intermédiaire qui subit les pressions multiples que supposent les soins aux aînés en même temps qu’aux enfants, ce qui lui a valu le surnom de « génération sandwich » dans les médias. Toutefois, la cohabitation contribue parfois à réduire le stress et les coûts associés aux soins à prodiguer lorsqu’un parent habite dans une autre ville, voire une autre province. C’est peut-être ce qui explique que près du quart des Canadiens (24 %) qui s’occupaient de leurs parents en 2012 vivaient avec le ou les bénéficiaires.

Les parents et les jeunes adultes qui cohabitent contribuent à leur façon au budget du ménage

Les jeunes adultes qui vivent au sein d’un foyer multigénérationnel bénéficient du soutien et y contribuent à plusieurs égards. Ils sont de plus en plus nombreux à fournir des soins à leurs proches en raison d’une affection à long terme, d’une incapacité ou du vieillissement. En 2012, 27 % des jeunes de 15 à 29 ans prodiguaient des soins à des membres de leur famille, principalement aux grands-parents. Du reste, leur contribution touchait aussi à de nombreux autres aspects, notamment les tâches domestiques, les courses et les soins aux enfants. En retour, les jeunes adultes qui vivent au domicile parental reçoivent du soutien sous diverses formes, qu’il s’agisse du gîte et du couvert, de l’accès aux commodités (pour la lessive, par exemple), etc.

Enfin, les avantages de la cohabitation multigénérationnelle sont aussi de nature financière pour tous les habitants du ménage, qui peuvent alors mettre en commun leurs revenus et se partager les coûts. Les économies qui en résultent contribuent dans certains cas à contrer la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Dans le cadre d’une étude menée en 2011 aux États-Unis au sujet de la cohabitation multigénérationnelle après la Grande Récession, des chercheurs ont constaté que le taux de pauvreté était moins important pour les ménages multigénérationnels que pour les ménages unigénérationnels (11,5 % et 14,6 % respectivement). Chez les chômeurs, l’écart était encore plus marqué : le taux de pauvreté des chômeurs américains s’élevait à 17,5 % parmi les ménages multigénérationnels, par rapport à 30,3 % pour les autres types de ménages.

La créativité et l’adaptabilité facilitent la cohabitation

Peu importe la grandeur de la maison, les familles doivent faire preuve d’ingéniosité pour composer avec les limites d’espace tout en respectant le besoin d’autonomie de tous les occupants. Certains choisissent d’annexer à leur résidence des logements auxiliaires à l’intention de leurs parents, c’est-à-dire des annexes conçues expressément pour le logement des aînés (on entend souvent les expressions « logement parental » ou « appartement supplémentaire »). Bien souvent, les rénovations nécessaires pour aménager de tels espaces sont relativement mineures, et les aînés ont ainsi la possibilité de vivre dans un logement à peu près sans risque et sans aide.

D’ailleurs, les associations d’architectes et de constructeurs d’habitations surveillent cette tendance à la cohabitation multigénérationnelle. Dans ce créneau en pleine croissance, les stratégies de vente sont désormais axées sur les plans et les concepts architecturaux répondant à un tel besoin. Ces concepts intègrent souvent l’idée d’une « maison dans la maison », c’est-à-dire l’aménagement d’un appartement privé et distinct annexé à la résidence, ou intégré à celle-ci. Ces aires supplémentaires disposeront soit d’une entrée indépendante, soit d’une entrée commune avec la résidence principale. Parfois, les résidences multigénérationnelles intègrent des aménagements à aire ouverte ainsi que des portes et des couloirs plus larges afin de faciliter les déplacements. En règle générale, la polyvalence des lieux est proportionnelle au nombre de générations représentées.

La cohabitation multigénérationnelle témoigne de la capacité d’adaptation des familles

Malgré les tensions et les défis inhérents à la cohabitation multigénérationnelle, les familles y trouvent aussi des avantages, notamment la consolidation des liens intergénérationnels ainsi que diverses possibilités en matière de gestion du budget et des tâches domestiques. Toutefois, même si cet arrangement est favorable aux soins et au soutien, il n’en demeure pas moins que les enjeux de la cohabitation multigénérationnelle sont complexes et dynamiques, si bien que ce mode de vie nécessite des limites claires, du respect et une bonne dose de communication.

D’ailleurs, les ménages multigénérationnels ne sont pas une création nouvelle : avant la Seconde Guerre mondiale, cette forme de cohabitation était encore plus répandue qu’aujourd’hui. Ce phénomène en pleine recrudescence n’est donc pas étranger aux familles. Comme tous les changements et toutes les tendances qui surviennent au fil du temps en matière de cohabitation, il n’est que le reflet de leur capacité d’adaptation et d’ajustement au contexte socioéconomique en perpétuelle évolution.

 


 

Vous trouverez toutes les références et les sources d’information dans la version PDF de cet article.

La première version de cet article est parue le 19 novembre 2015.
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