Portraits de chercheurs : Kim de Laat

Kim de Laat discute de ses travaux de recherche portant sur la diversité familiale, les inégalités et le congé parental.

15 février 2022

Gaby Novoa

Titulaire d’une bourse de recherches postdoctorales Mitacs et œuvrant au sein du Département de sociologie de l’Université Brock ainsi que de l’Institut Vanier de la famille, Kim de Laat, Ph. D., s’intéresse aux domaines de recherche axés sur le travail et les occupations, la culture, le genre et la race, et les politiques sociales.

Dans le cadre de notre nouvelle rubrique intitulée Portraits de chercheurs, Mme de Laat se joint à Gaby Novoa de l’Institut Vanier pour parler de son domaine de recherche; de ce qui inspire ses travaux; du projet sur lequel elle travaille actuellement, qui porte sur l’utilisation par les pères des politiques liées au congé parental; et de l’influence qu’exercent les représentations et les stéréotypes culturels sur les perceptions et les attentes liées au travail et à la parentalité.


Qu’est-ce qui vous a amenée à vous spécialiser dans ces domaines?

Lorsque j’ai entrepris le programme de doctorat, je désirais étudier la façon dont les gens composent avec l’incertitude et les inégalités dans leur vie professionnelle. Cet intérêt découlait de ma propre expérience de travail dans le secteur de la musique, qui connaissait alors des changements technologiques rapides. J’ai été formée par des sociologues de la culture, ce qui m’a amenée à développer une expertise théorique et méthodologique que j’ai intégrée à mon analyse des médias. J’ai eu l’occasion de collaborer avec ma directrice de thèse sur un projet visant à évaluer la représentation des mères dans les médias – en particulier dans les publicités télévisées. Ces projets ont été très formateurs pour moi. Ils m’ont permis d’apprendre et de lire toute la documentation existante sur la culture parentale moderne, et cet intérêt ne m’a plus jamais quittée.

C’est lors de la planification de mon projet postdoctoral que j’ai décidé de ne plus me consacrer à la gestion de l’incertitude et des inégalités dans le milieu de travail, mais de me concentrer plutôt sur la façon dont les parents composent avec ces enjeux, tout en conciliant les impératifs divergents liés à leurs responsabilités professionnelles et familiales. Ce qui s’avérait un projet parallèle avec ma directrice de thèse est devenu le sujet central de mon programme de recherche postdoctoral.

Qu’est-ce qui inspire vos travaux de recherche?

Comme de nombreux sociologues, je cherche à cerner et à mettre en évidence non seulement les causes, mais aussi les conséquences des inégalités. De plus, j’ai eu l’occasion de travailler sur des projets de recherche en matière de politiques, pour lesquels j’ai tenté d’apporter des solutions en proposant des politiques susceptibles d’engendrer des changements concrets. Ce sont là les deux éléments qui sous-tendent mes travaux de recherche : le désir de déterminer les causes des inégalités, dans le but principal d’envisager ce que nous pouvons faire pour surmonter celles-ci. Je suis très heureuse à l’idée de travailler à l’Institut Vanier, un organisme qui se consacre à mobiliser la recherche et les connaissances, ainsi qu’à mettre en relation ceux et celles qui défendent les droits des familles.

Pouvez-vous nous parler des projets sur lesquels vous travaillez actuellement?

Dans mon rôle de chercheuse postdoctorale, j’ai entrepris une étude pour une grande multinationale dans le but de cerner les perceptions qu’ont les parents des modalités de travail flexibles ainsi que l’utilisation qu’ils en font. Je tente de comprendre comment la culture et les pratiques organisationnelles peuvent favoriser ou encore entraver l’utilisation de ces politiques par les parents, alors que ces dernières ont visiblement été élaborées et instaurées dans le but d’aider les parents à concilier certaines de leurs responsabilités divergentes. J’ai donc lancé ce grand projet, qui est en cours, et qui sera le sujet d’un article à paraître prochainement.

À titre de titulaire d’une bourse de recherches postdoctorales Mitacs, j’élargis cette même recherche afin d’établir comment un ensemble de politiques pourraient contribuer à soutenir plus adéquatement les parents et leur famille. Ma directrice de thèse, Andrea Doucet, Ph. D., et moi-même collaborons à une étude qui s’intéresse à l’usage que font les pères des politiques liées au congé parental, ainsi que des politiques associées à l’assouplissement des conditions de travail (modalités de travail flexibles). Enfin, nous tentons de déterminer de quelle façon l’ensemble de ces politiques contribuent à influencer le niveau de participation des pères aux responsabilités parentales et aux tâches domestiques. Actuellement, nous procédons à l’analyse des données d’enquête recueillies et, ce printemps, nous rencontrerons des pères afin de mener des entretiens en profondeur sur ces questions. Nous adoptons une approche mixte pour le premier article qui découlera de cette collaboration.

Qu’avez-vous appris de votre recherche sur l’utilisation par les pères des politiques liées au congé parental et sur la participation de ces derniers à l’éducation des enfants?

Nous avons effectué quelques analyses préliminaires et, conformément aux recherches précédentes, nous avons constaté que les pères qui prennent des congés parentaux sont plus susceptibles de participer aux responsabilités parentales et aux tâches domestiques. Toutefois, les pères qui ont recours à un horaire flexible (qui est un type de modalité de travail flexible permettant aux travailleurs de choisir l’heure à laquelle leur journée de travail commence et se termine) ont moins tendance à assumer les responsabilités liées à la garde des enfants. Ils sont donc moins susceptibles de s’occuper activement de leurs enfants et d’aider à nettoyer la cuisine, par exemple.

Lorsque nous considérons les modalités de travail flexibles, nous supposons que les employeurs qui y adhèrent en retirent des avantages – le contraire serait illogique. Il semble que ces politiques aient été instaurées dans une certaine mesure pour permettre aux familles de s’acquitter – en-dehors des heures de travail – des innombrables tâches devant être accomplies. Ce phénomène prend d’ailleurs de l’ampleur depuis que les couples sont de plus en plus formés de deux conjoints actifs sur le marché du travail.

L’apparition de ces modalités de travail flexibles n’est donc pas une coïncidence, puisque le nombre de ménages où les deux conjoints travaillent est en hausse constante. Il est toutefois quelque peu déconcertant de constater que le recours à un horaire flexible ne permet pas nécessairement de gérer les responsabilités du ménage. Je ne dirais pas que c’est étonnant, mais cette donnée est certainement déconcertante. Nous sommes impatientes de réaliser des entretiens avec des pères afin d’approfondir certaines questions de base liées à leurs expériences de ces politiques.

D’après vos recherches, qu’est-ce qui empêche ou décourage les pères de prendre un congé parental?

Dans plusieurs milieux de travail actuels, un genre de stéréotype culturel entoure la notion de « travailleur idéal » – à savoir une personne ambitieuse, capable de passer de longues heures au travail sans qu’aucune obligation extérieure ne l’empêche de travailler. D’un point de vue historique, ce travailleur idéal est de sexe masculin, et il est apparu pendant la période suivant la Deuxième Guerre mondiale, alors que les hommes rentraient en grand nombre de l’étranger et qu’ils intégraient le marché du travail, tandis que de nombreuses femmes abandonnaient le travail rémunéré qu’elles avaient adopté pendant la guerre. Les hommes disposaient alors à la maison d’un important système de soutien pour les aider à se conformer à ce concept du travailleur idéal.

Aujourd’hui, les hommes et les femmes, les mères et les pères, sont tous actifs sur le marché du travail, et il est beaucoup plus difficile pour eux de correspondre à cette image du travailleur idéal. Les femmes ayant été – par le passé – responsables d’un plus grand nombre de tâches domestiques, elles ne sont donc pas soumises, selon les stéréotypes, aux mêmes attentes que le sont les hommes.

Il est en outre intéressant de constater que les hommes sont de plus en plus surveillés et stigmatisés lorsqu’ils ont recours à ces politiques, car la tendance est de croire que ces politiques sont destinées aux femmes et aux mères. Une association négative existe en lien avec ces politiques : il est plus difficile pour les hommes de les utiliser, car ils risquent davantage d’être victimes de discrimination. D’ailleurs, certaines recherches démontrent des conséquences concrètes à cet effet, notamment une diminution de la satisfaction au travail, un salaire inférieur et un taux de départs plus élevé chez ces travailleurs.

Dans votre travail, vous avez analysé la façon dont les médias dépeignent la maternité, l’âge, le genre et la race. Quelle sont les effets et la portée d’une telle représentation sur les familles?

D’abord, la maternité est une chose admirable et, à la base, il est rassurant ne serait-ce que de la voir mise en relief dans les médias. D’un autre côté, mes recherches sur la façon dont la maternité est évoquée dans les publicités montrent qu’il s’agit d’un rôle profondément accaparant, ce qui ne reflète pas la réalité de la plupart des mères. Celles-ci ne sont pas unidimensionnelles : chacune d’elles se distingue à de nombreux égards, et leur contribution à la famille ne se limite pas à leur rôle dans la reproduction sociale.

L’autre problème soulevé par ce portrait est que, dans l’ensemble, seules les femmes blanches y sont représentées. En outre, certains aspects de ces messages publicitaires sont parvenus à faire ressortir qu’il s’agit de mères issues des classes moyennes ou moyennes supérieures. On nous présente donc une image très restreinte de ce que signifie être mère, et qui n’est pas représentative de la plupart des mères canadiennes et de leur expérience. Cette image renforce l’idée que les mères blanches qui assument les tâches domestiques non rémunérées constituent la référence de comparaison pour toutes les autres mères. Or, je crois qu’il est préjudiciable pour les femmes, en particulier les femmes de couleur, que les médias populaires négligent de refléter le portrait et les expériences qui les représentent.

De quelle façon vos travaux de recherche sur la conciliation travail-vie personnelle et sur la diversité familiale se rejoignent-ils?

Lorsque nous réfléchissons à l’interaction qui existe entre les milieux de travail et les familles, que nous effectuons des recherches et élaborons des théories sur le sujet, nous ne pouvons pas nous appuyer sur une définition restreinte de la « famille ». Les familles sont diversifiées; de nombreux facteurs – comme la race et l’ethnicité, les identités de genre, les aptitudes et les incapacités, les identités sexuelles, et autres – interviennent au sein des familles, et c’est cette interaction qui détermine l’influence qu’auront les politiques sur les familles.

Je suis heureuse de savoir que la diversité familiale est un élément central du cadre de recherche de l’Institut Vanier et j’espère que cette diversité continuera d’orienter notre réflexion sur ces questions.

Qu’est-ce qui vous attend au cours des prochains mois?

Tout au long du printemps et de l’été, je poursuivrai avec plaisir le travail entrepris avec l’Institut Vanier et Andrea Doucet, sans compter que nous envisageons plusieurs collaborations. Donc, dans les prochains mois, j’entreprendrai de nouvelles études de recherche, je réaliserai des entretiens et, je l’espère, je rédigerai les conclusions de nos travaux dès cet été!

Consultez le site Web de Kim de Laat.

Gaby Novoa est responsable des communications et des publications à l’Institut Vanier de la famille.

Cette entrevue a été révisée dans un souci de clarté et pour atteindre une longueur optimale.

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