Recherche en bref : Regard sur la réalité des grands-familles

Recherche en bref par Gaby Novoa

9 février 2021

ÉTUDE : Dre Ashley Martin; Dr Daniel Albrechtsons; Dre Noni MacDonald, M. Sc., FRCPC; Dre Nadia Aumeerally, M. Sc., FRCPC; Dre Tania Wong,, M. Sc., FRCPC, « Becoming Parents Again: Challenges Affecting Grandparent Primary Caregivers Raising Their Grandchildren » dans Paediatrics & Child Health (mai 2020). Lien : https://bit.ly/30DE5ou


Les familles sont diversifiées et complexes, et elles évoluent au fil du temps. Les grands-familles illustrent d’ailleurs bien ces dynamiques, alors que dans cette structure familiale, ce sont principalement les grands-parents qui s’occupent de leurs petits-enfants, la participation des parents étant minime, voire nulle. Comptabilisée dans le cadre du Recensement en tant que « familles sans génération intermédiaire », l’expression « grand-famille » est utilisée par un nombre croissant d’organismes de soutien à l’intention des grands-parents qui élèvent leurs petits-enfants.

Les grands-familles vivent des expériences uniques et ont des dynamiques, des forces et des réalités qui leur sont propres. Celles-ci ont suscité l’intérêt des chercheurs Ashley Martin, Daniel Albrechtsons, Noni MacDonald, Nadia Aumeerally et Tania Wong dans le cadre d’une étude récente intitulée « Becoming Parents Again: Challenges Affecting Grandparent Primary Caregivers Raising Their Grandchildren » (Devenir parent à nouveau : Les défis auxquels sont confrontés les grands-parents qui assument un rôle de premier plan dans l’éducation de leurs petits-enfants)1.

Divers parcours peuvent mener à la formation des grands-familles

Les familles s’adaptent et évoluent vers des grands-familles pour diverses raisons, notamment pour des questions de maladie mentale ou des problèmes de dépendances; en raison de l’absence, de l’incarcération ou du décès de l’un ou des parents; ou encore pour venir en aide à une adolescente de la famille qui vit une grossesse. À l’instar des résultats obtenus dans d’autres pays, les recherches montrent qu’au Canada, les grands-parents qui assument le rôle d’aidant principal auprès de leurs petits-enfants sont plus souvent des femmes, sans emploi et de statut socioéconomique inférieur.

Bien que les grands-familles ne constituent pas un phénomène nouveau, les données du Recensement de 2016 révèlent que celles-ci comptent un nombre croissant d’enfants au Canada (près de 33 000 enfants de moins de 15 ans vivaient au sein d’une grand-famille en 2016, soit une augmentation de 32 % depuis 2001).

L’étude « Becoming Parents Again » est un examen qualitatif des expériences que vivent les grands-parents qui agissent comme principaux pourvoyeurs de soins, fondé sur des entretiens semi-structurés réalisés avec les grands-parents aidants de 10 ménages de la région de Halifax. Les auteurs soulignent par ailleurs que les participants de l’étude étaient exclusivement issus de milieux urbains et que la majorité d’entre eux étaient de type caucasien. En vue de poursuivre des recherches sur le sujet, des entretiens avec des grands-parents aidants issus d’autres ethnies, cultures et contextes seront donc essentiels, en particulier auprès de familles des Premières Nations, qui sont surreprésentées parmi les grands-familles.

Les entretiens ont fait ressortir cinq grands thèmes.

Des changements dans la dynamique familiale : Les grands-parents interrogés décrivaient systématiquement des changements de rôles importants dans leur dynamique familiale au moment de devenir les principaux pourvoyeurs de soins et d’assumer le rôle de parents, tandis que les parents biologiques adoptaient le rôle stéréotypé des grands-parents qui « gâtent leurs enfants lors de rares visites ».

Les grands-parents affirmaient que ces changements dans la structure familiale avaient affecté leur relation avec leur conjoint, leurs enfants et leurs autres petits-enfants, et parlaient du stress ressenti et du sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir répondre aux besoins de tous. Les grands-parents qualifiaient « d’inestimable » l’aide qu’ils reçoivent de leurs autres enfants, s’ils en ont – autres que le parent du petit-enfant dont ils s’occupent –, qui peuvent leur offrir du soutien, voire un peu de répit.

Un impact psychosocial sur les petits-enfants et les grands-parents : Des expériences de vie négatives en bas âge chez les petits-enfants conduisent souvent à la formation de grands-familles. Les grands-parents interrogés affirmaient que l’urgence avec laquelle les enfants étaient placés sous de nouveaux soins les amenait à développer des comportements difficiles avec lesquels les grands-parents avaient du mal à composer, faute d’y avoir été préparés.

Le ministère des Services communautaires (DCS) était impliqué dans le cas de huit des 10 grands-familles interrogées, les motifs d’intervention étant notamment des problèmes de santé mentale et/ou de toxicomanie, ou la mort subite des parents. Les grands-parents de ces familles disaient éprouver des sentiments complexes mêlant tristesse et colère envers leurs enfants, en raison des conséquences des événements pour leurs petits-enfants.

Des défis liés à une parentalité tardive : Les grands-parents interrogés ont tous évoqué la difficulté d’élever des enfants à un âge avancé, en plus des répercussions que peuvent avoir certaines incapacités ou maladies chroniques sur le rôle parental. Nombre d’entre eux exprimaient un sentiment d’épuisement et estimaient difficile de trouver un équilibre entre les soins personnels et la prestation de soins aux petits-enfants et au conjoint.

Plusieurs exprimaient également la peur de mourir avant que leurs petits-enfants aient atteints l’âge d’être autonomes. Des écarts générationnels entre les grands-parents et les enfants, plutôt qu’entre les parents et les enfants, ont également été constatés, notamment en ce qui a trait à la gestion des technologies nouvelles ou inconnues, comme le fait de limiter l’accès aux médias sociaux et le temps passé devant un écran.

Une résilience inspirée par l’amour de la famille : Malgré les défis évoqués, tous les grands-parents interrogés affirmaient que le fait de s’être occupés de leurs petits-enfants les avait profondément marqués, et ce, de façon positive, et disaient n’éprouver aucun regret d’avoir assumé ce rôle. Le bien-être de leurs petits-enfants constituait leur priorité absolue, et les relations uniques découlant de la formation de leur grand-famille ont été décrites comme l’un des aspects les plus enrichissants de leur vie. En outre, le fait d’agir par amour a inspiré un sentiment de résilience chez les participants.

Un manque de ressources : Dans la majorité des ménages, les grands-parents interrogés (90 %) exprimaient leur déception quant au manque de soutien et de services communautaires et financiers disponibles. Ceux-ci disaient qu’il était difficile, tant émotionnellement que financièrement, de s’y retrouver dans le système judiciaire et le DCS en vue d’obtenir la garde de leurs petits-enfants. L’un d’entre eux exprimait notamment la frustration rencontrée dans ses démarches : « Si vous présentez cet enfant et dites vouloir vous en occuper, et que vous êtes ses grands-parents, l’accueil que l’on vous réserve est fort différent que celui réservé à quelqu’un qui se présente comme parent d’accueil. Personne ne peut vous aider. » [traduction]

Comme le fait de redevenir parent n’était pas prévu, de nombreux grands-parents ont dû retarder leur projet de retraite et demeurer sur le marché du travail. La plupart des familles disaient connaître des difficultés financières, ne recevant que très peu d’aide du gouvernement ou des parents de l’enfant, tout en devant concilier le travail et la prise en charge d’un jeune enfant.

Améliorer la sensibilisation au sujet des grands-familles est susceptible de faciliter le soutien fondé sur des données probantes

Non seulement les relations intergénérationnelles sont importantes pour le bien-être de la famille, mais elles permettent en outre de mitiger les risques encourus par les jeunes qui connaissent notamment des expériences de vie négatives en bas âge, un parcours qui mène souvent à la formation de grands-familles. Bien que cette dynamique familiale soit empreinte de défis, des études ont néanmoins démontré que 90 % des grands-parents aidants accepteraient d’assumer la responsabilité de leurs petits-enfants si on leur en donnait à nouveau la possibilité. L’étude « Becoming Parents Again » met en relief les défis auxquels sont confrontées les grands-familles dans les Maritimes au Canada, soit des indicateurs d’expériences semblables dans l’ensemble du Canada et aux États-Unis.

Une plus grande sensibilisation aux expériences des grands-familles est susceptible de faciliter l’élaboration de mesures de soutien et de services fondés sur des données probantes, ou du moins de favoriser des changements aux programmes actuels, afin de reconnaître les besoins et les réalités des divers modes de cohabitation des familles et de mieux y répondre.

Gaby Novoa, Carrefour du savoir sur les familles au Canada, Institut Vanier de la famille

Cette recherche en bref a été révisée par Tania Wong et Christina Murray. 


Note

  1. Ashley Martin et autres, « Becoming Parents Again: Challenges Affecting Grandparent Primary Caregivers Raising Their Grandchildren » dans Paediatrics & Child Health (mai 2020). Lien : https://bit.ly/30DE5ou

 

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