Recherche en bref : La réalité scolaire pour les enfants des familles de militaires

Emily Beckett

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Le Canada compte plus de 64 000 enfants au sein des familles de militaires1, et plusieurs d’entre eux sont confrontés à une importante mobilité. D’après certaines études, les familles des militaires déménagent de trois à quatre fois plus souvent que leurs homologues civils2. Or, même si la plupart des familles des militaires manifestent une grande capacité d’adaptation et beaucoup de résilience lorsqu’elles sont confrontées à une réinstallation, plusieurs recherches récentes ont permis de constater que les déménagements récurrents risquent de nuire au bien-être de la famille3.

Près des trois dixièmes (27 %) des conjoints des militaires interrogés disent avoir dû déménager au moins quatre fois à cause des impératifs de la vie militaire4.

Les réinstallations fréquentes peuvent bousculer la vie de famille à plusieurs égards, et certaines études suggèrent que les perturbations les plus marquées du point de vue des jeunes se font sentir à l’école et dans les activités parascolaires5. Les parents des familles de militaires sont d’ailleurs conscients de ces effets : plus de la moitié des conjoints de militaires interrogés (54 %) s’accordent pour dire que « les enfants des militaires sont désavantagés par la méconnaissance de la réalité des militaires dans les écoles civiles publiques »6. Toutefois, des travaux de recherche ont aussi montré que le milieu scolaire de l’enfant permet souvent de faciliter la transition et, par conséquent, de favoriser le bien‑être des jeunes dans les familles des militaires.

Heidi Cramm, Ph. D., et Linna Tam-Seto, doctorante, ont réalisé une recension des écrits (School Participation and Children in Military Families: A Scoping Review, en anglais seul.), où elles s’intéressent à l’impact de ces transitions sur le bien-être des enfants et des jeunes des familles de militaires, particulièrement en ce qui concerne leur réalité scolaire. Après avoir passé en revue quelque 112 articles spécialisés, les deux chercheuses ont constaté que certaines réalités communes aux familles des militaires finissent souvent par nuire à la qualité et au degré de participation des enfants dans les activités scolaires ou parascolaires, que ce soit à cause de l’éloignement d’un parent en déploiement, d’une réinstallation, des risques associés aux missions militaires des parents, ou des perturbations de la dynamique familiale pendant ou après un déploiement. Même si la vaste majorité des articles recensés dans le cadre de cette initiative reflètent la situation en contexte américain, il semble que les familles des militaires au Canada partagent à peu près la même réalité et les mêmes préoccupations, comme en témoignent les Résultats de l’évaluation des besoins de la communauté des Forces armées canadiennes (FAC) de 20167.

Se réinstaller progressivement dans une nouvelle collectivité

Les enfants des familles de militaires qui fréquentent une nouvelle école n’éprouvent pas nécessairement des difficultés scolaires, mais l’état actuel de la recherche montre qu’il leur faut néanmoins de quatre à six mois à chaque déménagement pour s’habituer complètement à leur nouvelle réalité scolaire. Bien que ces situations soient temporaires, les interruptions successives risquent d’entraîner des incidences à long terme en limitant les possibilités plus tard dans la vie de ces élèves, notamment quant à leur capacité de prendre des risques ou de relever des défis.

Axées surtout sur la réalité aux États-Unis, les études recensées par Mmes Cramm et Tam-Seto révèlent que les difficultés des élèves en transition semblent surtout associées à la durée des déploiements (nombre total de mois d’absence des parents en mission), au degré de résilience, de même qu’à la santé mentale du parent qui prend le relai du conjoint en mission. Ces travaux de recherche mettent aussi en relief les difficultés de réinsertion dans la routine et la structure familiale qui touchent parfois les militaires au terme d’un déploiement. D’après les données probantes, ces effets négatifs s’intensifient en fonction du nombre de mois de déploiement. Il sera particulièrement important d’en tenir compte dans le portrait de la situation des familles des militaires au Canada.

La vie militaire : des répercussions sur le parcours scolaire et l’accès aux mesures de soutien

Les travaux de recherche examinés par Mmes Cramm et Tam-Seto mettent en relief diverses incidences sur le rendement scolaire des élèves (majoritairement américains) qui déménagent d’un territoire à l’autre (ex. : déficits ou dédoublements dans les apprentissages). Différents facteurs entrent en ligne de compte selon les régions, notamment en ce qui concerne les normes en vigueur, les crédits exigés ou encore l’âge d’entrée à la maternelle. Les chercheuses ont aussi constaté que le niveau de stress à la maison durant un déploiement et au cours de la période de réinsertion qui s’ensuit influence souvent le comportement à l’école et la dynamique en classe, alors que ces élèves vivent parfois des difficultés sur le plan affectif, des problèmes de concentration ou d’anxiété, ou des relations conflictuelles avec leurs pairs. L’enquête sur l’évaluation des besoins de la communauté des FAC ne précise pas si la mobilité est la principale cause des difficultés qu’éprouvent les enfants des répondants, mais 13 % d’entre eux avouent que ceux-ci ont manifesté des problèmes comportementaux ou affectifs à l’école durant l’année précédente. D’autres recherches seront nécessaires pour compléter le tableau et mieux comprendre la situation des familles des militaires au Canada.

En 2016, plus d’un septième (13 %) des militaires des Forces armées canadiennes interrogés affirmaient que leur enfant avait éprouvé des problèmes comportementaux ou affectifs à l’école durant l’année précédente.

D’après certaines études, l’adaptation comportementale et affective influencerait le rendement scolaire des jeunes (ex. : comportement, présence, attitude vis-à-vis de l’école ou de l’approche éducative). On peut penser que les difficultés associées au changement d’école sont encore plus grandes pour les élèves ayant besoin de ressources éducatives spécialisées8. À ce chapitre, 8,2 % des familles des FAC interrogées ont des enfants ayant des besoins spéciaux9, et plusieurs d’entre elles nécessitent des ressources et des mesures de soutien. Or, chaque déménagement complique l’accès à de tels services.

Les nombreux parents des familles de militaires qui ont un enfant atteint d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA) sont confrontés aux mêmes difficultés que toutes les autres familles où quelqu’un a des besoins particuliers : non seulement doivent-ils trouver les ressources adéquates dans le dédale du système d’éducation et du réseau de soins de santé, mais ils sont aussi confrontés à la difficulté d’obtenir une évaluation et un diagnostic10. Or, les familles restent parfois des mois voire des années sur une liste d’attente pour recevoir enfin un diagnostic. Dans un tel contexte, certaines familles de militaires sont contraintes de repartir à la fin d’une affectation avant même d’avoir eu accès à des soins ou à des services.

En fait, plusieurs ressources éducatives spécialisées ne sont pas accessibles sans diagnostic. Mmes Cramm et Tam-Seto ont constaté que l’école freine parfois l’accès à certaines ressources en présumant que les difficultés scolaires de l’élève sont uniquement liées au mode de vie des militaires ou qu’elles sont temporaires en lien avec le déploiement d’un parent. À l’inverse, certains intervenants privilégient des ressources éducatives spécialisées pour pallier des déficits d’apprentissage qui sont en réalité liés aux réinstallations et nécessiteraient des mesures moins ciblées. Dans le réseau scolaire américain, plusieurs se sentent mal outillés pour pouvoir bien cibler les élèves des familles de militaires qui méritent un traitement auprès de spécialistes cliniques.

Consolider les collectivités malgré l’importante mobilité

D’après les études consultées, l’importante mobilité entrave souvent la capacité des enfants des familles de militaires à nouer et à entretenir des relations personnelles et à s’intégrer à un cercle social avec les enfants de leur âge. Il n’est pas rare que leurs homologues civils ne comprennent pas la réalité que supposent ces déménagements successifs ou le déploiement d’un parent – ou qu’ils n’y soient pas sensibles –, ce qui teinte leurs relations avec les enfants des militaires. Néanmoins, les interactions entre les jeunes des familles militaires et non militaires sont fréquentes, puisque de nos jours 85 % des familles des militaires au Canada vivent à l’extérieur d’une base, c’est-à-dire dans les collectivités civiles (comparativement à seulement 20 % vers le milieu des années 90)11.

Mmes Cramm et Tam-Seto ont constaté que les enfants des familles de militaires qui vivent en milieu civil aux États-Unis sont particulièrement vulnérables à l’isolement et à la solitude, et il s’agit là de données importantes puisqu’il existe des liens nets entre le bien-être et l’adhésion à un cercle social solide, d’après les études12. En outre, l’état actuel de la recherche laisse entrevoir que le sentiment d’appartenance communautaire est souvent déterminant pour la santé mentale et la résilience13.

La mobilité risque également d’entraver la participation à certaines activités parascolaires pour les jeunes des familles de militaires. Par exemple, il pourrait être trop tard pour un jeune qui emménage avec sa famille et qui souhaiterait se joindre à une équipe de soccer, alors que la période d’entraînement est peut‑être terminée et que l’équipe a été complétée avant le début de l’année scolaire. Certaines équipes de sports d’élite ou d’autres programmes de leadership hésitent parfois à recruter les élèves des familles de militaires de crainte d’avoir à les remplacer s’ils doivent déménager à nouveau.

D’après le rapport de 2016 sur l’évaluation des besoins de la communauté des FAC, près des trois dixièmes (29 %) des répondants qui considéraient le bien-être de leurs enfants comme leur principal souci durant l’année précédente disent avoir besoin d’aide dans leurs démarches pour assurer le bien-être de leurs enfants (ex. : mise en forme, gestion du stress, consolidation des liens familiaux). Dans certains cas, les parents dont le conjoint est en déploiement ne sont pas en mesure d’aller reconduire leurs enfants aux activités parascolaires ou d’assumer toutes les responsabilités compte tenu des besoins accrus à la maison pour s’occuper des enfants (23 % de tous les répondants affirment avoir eu des problèmes liés à la garde des enfants, qu’il s’agisse de la qualité et de la disponibilité des services, de la distance à parcourir, du coût, etc.).

Les professionnels de l’éducation sont en position privilégiée pour faciliter les transitions

Les études montrent que les enseignants, les conseillers et d’autres professionnels de l’éducation sont en situation privilégiée pour faciliter la transition des jeunes des familles de militaires. La recension de certaines études aux États-Unis suggère que le milieu scolaire offre parfois un facteur « de protection » durant une réinstallation, et que les éducateurs sont susceptibles d’aider les élèves des familles de militaires en consolidant leur résilience et leurs mécanismes d’adaptation.

De fait, les déménagements sont déstabilisants en soi et perturbent les habitudes et la routine, si bien que plusieurs familles de militaires et leurs enfants dépendent largement du personnel et du milieu scolaire relativement au soutien socioaffectif. Parmi les parents des FAC qui considéraient le bien‑être de leurs enfants comme leur principal souci durant l’année précédente, plus du tiers des répondants (34 %) disaient avoir besoin de soutien affectif ou social. Les études tendent à montrer que l’implication éventuelle des familles dans la vie scolaire de leur enfant favorise souvent l’engagement et la réussite scolaires, diminue les risques de décrochage et augmente les chances de faire des études postsecondaires.

Toutefois, Mmes Cramm et Tam-Seto ont aussi constaté que plusieurs intervenants du milieu de l’éducation aux États-Unis se disent dépassés par l’ampleur des besoins de leurs élèves, si bien qu’il leur semble difficile de tenir compte des enjeux particuliers des familles des militaires (réinstallations successives, déploiement des parents, peur de voir leurs parents blessés ou tués dans le cadre d’un déploiement), de répondre aux besoins de ces familles et de communiquer efficacement avec elles.

Même si plusieurs des études et des rapports analysés et cités par Mmes Cramm et Tam-Seto portent sur la réalité vécue à l’étranger, leurs conclusions permettent néanmoins de mieux comprendre la situation des familles des militaires au Canada, qui ont en commun plusieurs « éléments stressants de la vie militaire » avec leurs homologues américains, entre autres l’importante mobilité, les périodes récurrentes d’éloignement ainsi que les risques14. Les études recensées donnent à penser que les écoles et les professionnels de l’éducation ayant une bonne littératie militaire (conscientisation à l’égard de ces stresseurs et de la réalité des familles des militaires) peuvent jouer un rôle majeur pour faciliter la transition des jeunes. Au cours des prochaines années, il sera impératif de disposer d’études axées plus particulièrement sur le milieu scolaire en contexte canadien.

Des ressources et de l’information pour favoriser le soutien aux familles des militaires

Les initiatives visant à accroître la littératie militaire des professionnels de l’éducation ont un important rôle à jouer pour épauler les jeunes des familles de militaires ainsi que leurs proches, et plusieurs ont déjà exprimé le souhait d’avoir accès à des ressources pour les aider en ce sens. Divers outils existent déjà pour favoriser la création et la consolidation d’équipes de conseillers scolaires (et de collègues) bien au fait de la « littératie militaire » dans les écoles au Canada, afin de transmettre de l’information et des ressources ciblées à propos du mode de vie des militaires et des vétérans. À ce chapitre, le Cercle canadien du leadership pour les familles des militaires et des vétérans et l’Association canadienne de counseling et de psychothérapie ont publié en 2017 un guide intitulé Les conseillers et les conseillères en milieu scolaire travaillant auprès des familles des militaires et des vétérans.

Les familles des militaires et des vétérans sont fortes, diversifiées et résilientes, et leur contribution unique s’avère précieuse pour les collectivités du pays. Bon nombre d’entre elles sont confrontées à une importante mobilité, ce qui se répercute sur le bien-être des enfants et des jeunes dans l’entourage des militaires et, finalement, sur le mieux-être et l’efficacité des militaires eux-mêmes parmi les Forces armées canadiennes15. Pour permettre à ces familles de prospérer au sein de collectivités et de milieux de travail inclusifs, il faudra accroître la conscientisation vis-à-vis de leur réalité et du « mode de vie des militaires », auprès des professionnels de l’éducation et des intervenants qui s’emploient à étudier, à servir et à soutenir les familles des militaires.

Pour consulter la version intégrale de l’étude :

Heidi Cramm, Ph.D., et Linna Tam-Seto, doctorante, « School Participation and Children in Military Families: A Scoping Review » dans Journal of Occupational Therapy, Schools, & Early Intervention (1er mars 2018). Lien : https://bit.ly/2qiWfcU

 

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Emily Beckett est une auteure professionnelle qui habite à Ottawa (Ontario).

Publié le 22 mai 2018

Cet article a été révisé par le colonel Russ Mann (retraité), conseiller spécial de l’Institut Vanier de la famille et ancien directeur des Services aux familles des militaires, en collaboration avec Heidi Cramm, Ph. D., et Linna Tam-Seto, doctorante.

Notes

  1. Heidi Cramm et autres, « L’état actuel de la recherche sur les familles des militaires » dans Transition (19 janvier 2016).
  2. Kerry Sudom, « Quality of Life among Military Families: Results from the 2008/2009 Survey of Canadian Forces Spouses » dans Director General Military Personnel Research and Analysis, Chief Military Personnel (août 2010). Lien :  http://bit.ly/2b8Hp3U
  3. Pour en savoir davantage : Coup d’œil sur les familles des militaires et des vétérans au Canada
  4. Sudom, 2010
  5. Pamela Arnold et autres « Needs of Military-Connected School Divisions in South-Eastern Virginia » dans Old Dominion University, Center for Educational Partnerships (septembre 2011), lien : https://bit.ly/2EQGs9F; Angela J. Huebner et autres, « Parental Deployment and Youth in Military Families: Exploring Uncertainty and Ambiguous Loss » dans Family Relations, vol. 56, no 2 (avril 2007), lien : https://bit.ly/2qT6zrH; Kristin N. Mmari et autres, « Exploring the Role of Social Connectedness among Military Youth: Perceptions from Youth, Parents, and School Personnel » dans Child and Youth Care Forum, vol. 39, no 5 (octobre 2010), lien : https://bit.ly/2vm4aey.
  6. Sanela Dursun et Kerry Sudom, « Impacts of Military Life on Families: Results from the Perstempo Survey of Canadian Forces Spouses » dans Director General Military Personnel Research and Analysis, Chief Military Personnel (novembre 2009). Lien : http://bit.ly/1pbjBgC.
  7. Prairies Research Associates, Résultats de l’évaluation des besoins de la communauté des FAC de 2016 (septembre 2017).
  8. Cramm, 2016
  9. Heidi Cramm, « L’accès aux soins de santé pour les familles des militaires ayant un enfant touché par l’autisme » dans Transition (6 novembre 2017).
  10. Cramm, 2017
  11. Ibidem
  12. Maire Sinha, « Rapports des Canadiens avec les membres de leur famille et leurs amis » dans Mettre l’accent sur les Canadiens : résultats de l’Enquête sociale générale, no 89-652-X au catalogue de Statistique Canada (dernière mise à jour au 30 novembre 2015). Lien : https://bit.ly/2FCPTtI
  13. Statistique Canada, « Appartenance à la communauté » dans Gens en santé, milieux sains, no 82-229-X au catalogue de Statistique Canada (janvier 2010). Lien : https://bit.ly/2rercj2
  14. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, « Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire » dans Rapport spécial au ministre de la Défense nationale (novembre 2013). Lien : https://bit.ly/2Ktqtm2
  15. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes

 

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