Pour allier soins et flexibilité

Sara MacNaull

 

Que ce soit au domicile, au travail ou au sein de leur collectivité, les membres de la famille sont confrontés à de multiples responsabilités, obligations et engagements – souvent complexes. Or, les familles jouissent d’une grande créativité et d’une excellente capacité d’adaptation. Néanmoins, comme certaines études l’ont montré, les membres de la famille qui occupent un emploi souhaitent que leur employeur respecte leur vie personnelle et ont besoin de flexibilité pour assumer pleinement les multiples rôles qui leur incombent.

Au sein des familles canadiennes, les travailleurs sont de plus en plus nombreux à vouloir bénéficier de modalités de travail flexibles (MTF) pour être en mesure d’assurer les soins que nécessitent amis ou membres de la famille immédiate ou élargie. Les MTF permettent d’améliorer grandement la qualité de vie et la productivité des personnes qui, tout en occupant un emploi, assument parallèlement une charge d’aidant, que ce soit auprès d’un enfant, d’un aîné ou d’un parent malade, d’un frère, d’une sœur ou d’un conjoint atteint d’une incapacité, ou encore auprès d’un ami proche touché par une maladie chronique.

Le type de soins à prodiguer, leur nature et leur durée sont variables (voir le tableau) et sont fonction des circonstances particulières qui touchent le bénéficiaire. Même si certaines exigences de soins sont prévisibles et permettent plus de flexibilité dans la gestion du temps et des ressources, d’autres situations sont plus compliquées. Par exemple, lorsqu’un grand-parent ou un parent vieillissant a besoin de soins quotidiens ponctuels, l’aidant peut planifier certaines tâches en dehors de ses heures de travail (ex. : épicerie, travaux d’entretien, etc.). Par contre, lorsqu’il est question de soins palliatifs ou de fin de vie – qui sont par définition stressants et imprévisibles – les aidants familiaux sont alors confrontés à l’idée de perdre prochainement un être cher tout en ayant à composer avec les particularités du réseau de soins de santé.

Le vieillissement et les soins au Canada

Ce sont 13 millions de personnes qui ont dit avoir un jour agi comme aidant auprès d’un ami ou membre de la famille.

Parmi les aidants familiaux, 39 % ont pris soin d’un père ou d’une mère, 8 % d’un conjoint ou partenaire, et 5 % d’un enfant. Les autres (soit 48 %) disent s’être occupé d’amis ou d’autres membres de la famille.

D’après les prévisions, les aînés compteront pour environ le quart de la population canadienne d’ici 2036.

Source : Statistique Canada

De même, lorsque la maladie ou une blessure survient soudainement et sans avertissement (crise cardiaque, AVC, étirement d’un ligament, etc.), la famille et les proches doivent se mobiliser sur-le-champ pour assurer les soins et le soutien. Dans une telle situation, l’aidant qui est sur le marché du travail se trouve dans l’obligation d’examiner avec son employeur ou son superviseur les diverses MTF disponibles, et ce, pour une période déterminée ou non. Le degré d’ouverture du gestionnaire ou de l’employeur devant une telle requête aura éventuellement des incidences importantes sur la famille et la vie de famille.

Récemment, certaines décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne ont permis de mettre en relief les besoins complexes qui caractérisent les soins familiaux et, par conséquent, toute la valeur qu’il faut accorder aux MTF. Ce tribunal a entendu plusieurs causes où les aidants n’avaient pas pu bénéficier de la flexibilité souhaitée, et où le refus de collaborer de la part des employeurs a été jugé discriminatoire sur la base de l’état familial. La Commission ontarienne des droits de la personne définit l’état familial comme le « fait de se trouver dans une relation parent-enfant », ce qui fait aussi référence à une variété d’autres relations familiales sans lien de sang ou d’adoption, mais fondées sur des rapports en matière de soins, de responsabilité et d’engagement.

En tenant compte du vieillissement de la population canadienne et de l’évolution des besoins en matière de soins, qu’ils soient structurés ou non, il faudra mettre sur pied diverses modalités de travail flexibles ou personnalisées ainsi que certaines mesures en milieu de travail faisant écho à l’état familial. On entend par soins structurés les divers services rémunérés fournis par un établissement ou un individu à l’intention d’un bénéficiaire de soins, alors que les soins non structurés désignent plutôt les soins non rémunérés assurés par la famille, les amis et les bénévoles. Dans bien des cas, les plans de traitement et de rétablissement prévoient des soins structurés et non structurés. Or, les aidants à qui il revient d’assurer ces soins non structurés doivent pouvoir compter sur une certaine flexibilité pour coordonner leurs responsabilités personnelles et familiales avec les services du réseau de soins de santé, d’autant plus que les soins à prodiguer sont changeants et que les besoins fluctuent au fil du temps.

Les travailleurs ont tendance à considérer que cette flexibilité voulue n’est accessible qu’aux gestionnaires, sinon aux cols blancs et aux professionnels. Dans un rapport publié récemment par le Families and Work Institute sous le titre Workflex and Manufacturing Guide: More Than a Dream, on a toutefois constaté que même les entreprises du secteur manufacturier (où les milieux de travail sont généralement perçus comme inflexibles) sont de plus en plus soucieuses des besoins de leurs employés relativement aux soins. Pour répondre à ces besoins, on adopte ici et là des MTF créatives et novatrices afin d’accroître la productivité et la satisfaction des employés.

Ainsi, un certain employeur du secteur manufacturier a offert de payer la moitié du salaire de la cinquième journée de travail hebdomadaire lorsque l’employé atteint ses objectifs de productivité, ce dernier ayant alors la possibilité de garnir sa banque de congés rémunérés en accumulant des demi-journées. Dans une autre entreprise, l’employeur a choisi de miser sur la formation polyvalente, en proposant à ses employés des formations à plusieurs postes du processus de production, élargissant ainsi la flexibilité et la polyvalence des travailleurs tout assurant le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne pour mieux répondre aux besoins de l’entreprise.

Chez les travailleurs en situation précaire, les travailleurs saisonniers de même que les travailleurs autonomes, la flexibilité est en quelque sorte inhérente à la nature même de ce type d’emploi. Toutefois, lorsqu’une charge de soins se rajoute, ces derniers encaissent le coup plus durement, ce qui se traduit notamment par une baisse de revenus en raison des absences ou de la réduction de la charge de travail.

Au demeurant, la famille représente l’institution sociale sachant le mieux s’adapter, et cette aptitude est certainement liée à la nécessité de s’ajuster au contexte en perpétuelle évolution. Toute organisation, quelle qu’elle soit, est formée d’individus uniques enracinés chacun dans leur propre famille, où les réalités sont uniques. Cela étant, la flexibilité représente un atout essentiel pour favoriser la résilience des familles et consolider la main-d’œuvre, l’économie et la société dans son ensemble.

 


Sara MacNaull est responsable du réseautage, des projets et des activités spéciales au sein de l’Institut Vanier de la famille. Elle est en voie d’obtenir le titre de professionnelle agréée en conciliation travail-vie personnelle.

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