Le travail, les soins et la norme des Organisations favorisant et appuyant les aidants naturels

Emily Beckett

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À un moment où l’autre de leur vie, la plupart des Canadiens seront appelés à offrir des soins quelconques à un membre de leur famille ou à un ami ayant une maladie chronique, une incapacité ou un besoin associé au vieillissement. Près de 3 Canadiens sur 10 (28 %) ont prodigué des soins en 20121, et les besoins liés à l’âge constituent le problème le plus courant qui nécessite des soins. Le Canada compte plus d’aînés que jamais auparavant – 6,6 millions en 20192 – et selon les projections, le nombre d’aînés qui auront besoin de soins est susceptible de doubler d’ici 20313. Un vieillissement de population aussi rapide signifie qu’au cours des prochaines années, une proportion croissante de Canadiens devra intervenir pour offrir, organiser et parfois même payer les frais associés aux soins.

Bien que la recherche démontre que la prestation de soins peut avoir des impacts positifs sur les aidants, notamment en engendrant une croissance personnelle4, en consolidant les liens familiaux5 et en favorisant l’empathie6, elle peut également affecter la qualité du rapport travail-vie personnelle ainsi que le bien-être de l’aidant – un sujet qui revêt une importance croissante pour les aidants en emploi, les employeurs et la société7.

La plupart des aidants familiaux occupent un emploi

Près des trois quarts des aidants au Canada (6,1 millions) sont en emploi, ce qui représentait plus du tiers (35 %) de la population active rémunérée au pays en 20128. Pour certains d’entre eux, le temps consacré à la prestation de soins équivaut à des heures de travail à temps partiel en plus de leur emploi rémunéré, ce qui se traduit par une « journée de travail prolongée » : environ 1 femme sur 6 et 1 homme sur 10 ont indiqué, en 2012, avoir consacré 20 heures ou plus par semaine à la prestation de soins en surplus de leurs heures de travail9.

La difficulté à concilier la prestation de soins familiaux et les responsabilités professionnelles peut avoir des répercussions négatives à la fois pour les employés, les employeurs et l’économie en général. Elle entraîne notamment des absences fréquentes (44 % des aidants en emploi interrogés mentionnent avoir manqué en moyenne 8 à 9 jours de travail au cours de l’année précédente en raison de leurs responsabilités liées à la prestation de soins10) ainsi que divers coûts indirects pour les employeurs, comme une perte de productivité, des coûts de remplacement des employés et de la formation.

Les recherches suggèrent que la population active du Canada perd chaque année l’équivalent de 558 000 employés à temps plein en raison de l’inconciliabilité des exigences liées au travail rémunéré et aux soins11, et que 50 % des aidants en emploi sont âgés de 45 à 65 ans, ce qui représente la tranche la plus expérimentée du marché du travail12. En outre, on estime que, dans l’ensemble du pays, les employeurs perdent 5,5 milliards de dollars chaque année en raison de l’absentéisme lié à la prestation de soins13.

Une norme pour la prestation de soins aide les employeurs à soutenir les employés

Dans le but de gérer, d’atténuer et idéalement de prévenir toute répercussion négative, l’Association canadienne de normalisation (Groupe CSA)un organisme non gouvernemental, sans but lucratif et centenaire dont le mandat est d’élaborer des normes visant à assurer la santé et la sécurité des Canadiens – a collaboré avec l’Université McMaster afin de concevoir la norme des Organisations favorisant et appuyant les aidants naturels (B701 F17).

Publiée en 2017, la norme pour la prestation de soins B701 F17 est un cadre fondé sur des données probantes validé par des professionnels qui s’adresse aux milieux de travail du Canada afin de soutenir leurs employés prestataires de soins informels. L’objectif de cette norme est d’éviter que la surcharge de rôles qu’ils assument pendant la période de prestation de soins n’entraîne des effets négatifs sur la santé physique et mentale des employés et de leur famille.

La norme pour la prestation de soins a été élaborée suivant une série de consultations rigoureuses auprès d’un comité technique d’experts composé d’un nombre équilibré de volontaires représentant le gouvernement, la main-d’œuvre, les employeurs et le milieu universitaire. Une fois que ces intervenants ont eu peaufiné le document de base de la norme, celui-ci a été soumis à un examen public approfondi afin d’en retirer une précieuse rétroaction. L’examen a révélé que la norme pouvait servir d’outil de formation pour les employeurs.

« Même pour les organismes qui n’appliquent pas la norme, explique Nora Spinks, directrice générale et membre de l’équipe consultative de projets de l’Institut Vanier, l’utilisation de ce processus rigoureux à des fins de formation ou encore de planification et de conception de programmes peut représenter un outil de développement organisationnel efficace. » [traduction]

Offerte sans frais sur le site Web du Groupe CSA, la norme pour la prestation de soins a été élaborée à l’intention des milieux de travail à titre de guide servant à minimiser les effets négatifs de toute incapacité à concilier la prestation de soins et les responsabilités professionnelles, grâce à un niveau de soutien et de protection minimum garanti qui surpasse ce qui est offert par les programmes d’aide aux employés (PAE) habituels. Elle permet aux employeurs de choisir les éléments les plus pertinents dans le contexte de leur organisme, puisque l’efficacité de certaines normes peut varier selon la taille du milieu de travail. La norme pour la prestation de soins comporte des exemples de cas et des anecdotes montrant aux employeurs de quelle façon elle peut être appliquée dans leur milieu de travail. En plus de la norme pour la prestation de soins, le Groupe CSA a également publié en complément le Guide de mise en œuvre : B701HB-18 – Soutien aux travailleurs-aidants au sein des organisations.

Une norme pour la prestation de soins peut favoriser le recrutement et le maintien en poste des employés

La norme pour la prestation de soins fait également état des dangers et des risques pouvant être associés à la prestation de soins, en plus des répercussions éventuelles de ces derniers sur le bien-être en milieu de travail. Certes, la prestation de soins peut être exigeante, et les aidants peuvent éprouver un niveau de tension ou de distraction accru au travail, ainsi qu’un plus grand stress par rapport au temps lorsqu’ils doivent assumer des responsabilités liées à la prestation de soins.

Selon son domaine d’activité, les conséquences de la fatigue de l’aidant en emploi peuvent varier. Cette dernière peut en effet affecter les compétences essentielles, comme la prise de décisions, la communication, la productivité ou le rendement, l’attention, le temps de réaction et la capacité de gérer le stress14. Ces effets peuvent engendrer des problèmes de communication, le non-respect des échéances, un rendement professionnel inférieur ou même des risques physiques accrus pour les travailleurs, leurs collègues et leurs clients.

Une sécurité psychologique en milieu de travail : une norme compatible et complémentaire

Un milieu de travail sain et sécuritaire sur le plan psychologique sait reconnaître et éliminer, ou du moins atténuer, l’exposition au stress chronique. Le monde du travail évolue au Canada, c’est pourquoi les employeurs et les employés sont de plus en plus aptes et désireux d’identifier les dangers physiques et psychologiques potentiels en milieu de travail. Pour un aidant en emploi, savoir que son milieu de travail est doté d’un cadre normatif peut être déterminant dans son choix de rester ou de quitter en raison de ses responsabilités de prestation de soins.

En 2013, la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a élaboré une norme destinée aux milieux de travail canadiens dans le but de soutenir la santé mentale des employés. À l’instar de la norme pour la prestation de soins, la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail est constituée d’une série de mesures, d’outils et de ressources dont l’application est volontaire, qui visent à orienter les organismes dans le soutien de leur main-d’œuvre15. Ces normes sont complémentaires à la norme pour la prestation de soins, et les organismes peuvent utiliser l’une ou l’autre ou bien les deux.

Les normes reposent sur une base volontaire, mais instaurées dans un cadre de formation et de sensibilisation, il est possible qu’elles soient adoptées dans l’ensemble des milieux de travail, en plus d’aider à réduire l’absentéisme, les retraites anticipées et les démissions. La norme pour la prestation de soins s’harmonise avec les programmes existants comme les PAE, les programmes de conditionnement physique, les congés médicaux, familiaux ou de maladie et les mesures d’adaptation du travail16.

Une norme pour la prestation de soins enrichit l’offre croissante des normes de bien-être au Canada

D’autres normes semblables ont été élaborées au cours des dernières années. En 2010 au Québec, la norme Conciliation travail-famille a été publiée à l’intention des organismes privés et publics comme document de référence concernant les exigences appuyant une conciliation travail-famille favorable.

La norme comporte des lignes directrices sur l’adaptabilité de l’organisation du travail au sein de l’organisme et dans l’aménagement du temps de travail, les périodes de vacances et les congés, la flexibilité dans le lieu de travail et les biens et services fournis dans le milieu de travail. L’objectif est d’accorder la priorité à la conciliation travail-famille dans la gestion des ressources humaines au sein des organismes. Le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) offre la certification aux employeurs qui appliquent cette norme au sein de leur organisme .

Soutenir les aidants en emploi à aller de l’avant

Le monde du travail évolue, et les milieux de travail sont mieux équipés que jamais pour soutenir leurs employés, grâce à une offre de plus en plus étoffée d’outils et de ressources. Au cours des prochaines années, le vieillissement constant de la population au Canada amènera un plus grand nombre de Canadiens à concilier leurs responsabilités liées à la prestation de soins et à leur travail. En offrant des horaires de travail flexibles en plus d’offrir de la formation, et en misant sur une communication ouverte et plus axée sur la compréhension, les milieux de travail sont en mesure de réduire leurs pertes éventuelles d’employés et de productivité, en plus de soutenir les aidants et leur famille pendant une période transitionnelle dans leur vie. Alors que les milieux de travail et les employés continuent de collaborer afin d’harmoniser les responsabilités liées au travail et à la famille, les ressources comme la norme des Organisations favorisant et appuyant les aidants naturels joueront un rôle de plus en plus marqué dans le soutien des aidants en emploi au Canada.

La norme des Organisations favorisant et appuyant les aidants naturels peut être téléchargée sur le site Web du Groupe CSA.

Emily Beckett est rédactrice professionnelle et réside à Ottawa, en Ontario.

 


Notes

  1. Statistique Canada publiera en 2020 de nouvelles données sur la prestation de soins au Canada.
  2. Statistique Canada, « Estimations de la population du Canada : âge et sexe, 1er juillet 2019 », dans Le Quotidien (30 septembre 2019). Lien : https://bit.ly/2E4rTBG
  3. Chair in Gender, Health and Caregiver-Friendly Workplaces, Webinar: New CSA Standard & Handbook (5 avril 2018).
  4. American Psychological Association, « Positive Aspects of Caregiving », dans Public Interest Directorate Reports (janvier 2011). Lien : https://bit.ly/2LoQVzg
  5. Richard Schulz et Paula R. Sherwood, « Physical and Mental Health Effects of Family Caregiving », dans Journal of Social Work Education, vol. 44, no 3 (suppl.) (septembre 2008). Lien : https://bit.ly/2rVelFE
  6. Diane L. Beach, « Family Caregiving: The Positive Impact on Adolescent Relationships », dans Gerontologist, vol. 37, no 2 (1997). Lien : http://bit.ly/2jBMu4h
  7. Apprenez-en plus à propos de l’impact de la prestation de soins sur la vie de famille et le travail dans le document Coup d’œil sur les soins familiaux et le travail au Canada.
  8. Emploi et Développement social Canada, « Quand il faut jongler entre travail et soins : Comment les employeurs peuvent soutenir les aidants naturels au sein de leur personnel », dans Rapport du Groupe d’employeurs sur la question des aidants naturels (27 janvier 2016).
  9. Maire Sinha, « Portrait des aidants familiaux, 2012 », dans Mettre l’accent sur les Canadiens : résultats de l’Enquête sociale générale, no 89-652-X au catalogue de Statistique Canada (septembre 2013). Lien : https://bit.ly/2qHPXXU
  10. Janet Fast, « Caregiving for Older Adults with Disabilities: Present Costs, Future Challenges », dans Institute for Research on Public Policy Study (décembre 2015). Lien : http://bit.ly/2jAH6yv
  11. Ibidem
  12. Groupe CSA, B701-F17 – Organisations favorisant et appuyant les aidants naturels (août 2017). Lien : https://bit.ly/38julC9
  13. Ceridian, « Double Duty: The Caregiving Crisis in the Workplace », dans Results and Recommendations from Ceridian’s Working Caregiver Survey (5 novembre 2015). Lien : https://bit.ly/3653Fmt
  14. Chair in Gender, Health and Caregiver-Friendly Workplaces
  15. Groupe CSA, CAN/CSA-Z1003-13/BNQ 9700-803/2013 – Santé et sécurité psychologique en milieu de travail (janvier 2013). Lien : https://bit.ly/2scSt8Z
  16. Chair in Gender, Health and Caregiver-Friendly Workplaces
  17. BNQ, BNQ 9700-820 : Conciliation travail-famille (2016). Lien : https://bit.ly/38nlRtD

 

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