Donner un sens à la mesure : Portrait de la diversité des couples au Canada

Kathya Aathavan mesure la diversité croissante des relations de couple au Canada.

Kathya Aathavan

25 juin 2021

Au fil des dernières décennies, les couples ont gagné en diversité au Canada. L’une des façons de mesurer cette diversité est d’examiner les unions mixtes – c’est-à-dire les unions conjugales ou libres entre deux personnes qui vont au-delà des limites socialement établies entre les groupes, comme l’identité raciale et ethnique. Une telle diversité est à la fois complexe et dynamique, et rend compte de la grande diversité de la société canadienne.

Mesure des unions mixtes appartenant à une minorité visible

Comme le recensement au Canada ne recueille aucune donnée spécifique à la race, les estimations antérieures au sujet des unions mixtes reposaient sur la classification de chacun des partenaires selon leur appartenance à une minorité visible. On entend par minorités visibles « les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche » (ce statut est indépendant du lieu de naissance de la personne)1. Dans le questionnaire du recensement, les répondants doivent indiquer s’ils font ou non partie d’une minorité visible, et le cas échéant, choisir parmi les catégories suivantes : Sud-Asiatique, Chinois, Noir, Philippin, Latino-Américain, Arabe, Asiatique du Sud-Est, Asiatique occidental, Coréen, Japonais, minorités visibles multiples, pas une minorité visible2. En 2016, 22 % de la population du Canada disait appartenir à une minorité visible.

Il est important de souligner que cette mesure des minorités visibles a été créée dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, dans le but d’offrir une meilleure égalité des chances en milieu de travail à des groupes désignés spécifiques, et non en vue d’étudier la réalité des personnes racialisées dans notre société. Bien qu’elle n’ait pas été conçue pour mesurer la diversité, cette mesure a tout de même été utilisée à cet égard en raison de la rareté des sources de données disponibles. Le concept de minorité visible a également été utilisé dans le plus récent recensement canadien (2021). Statistique Canada explore toutefois d’autres avenues afin d’effectuer une telle mesure des divers groupes de population lors des prochaines collectes de données.

Dans la mesure des unions mixtes effectuée par Statistique Canada, les unions entre personnes appartenant et n’appartenant pas à une minorité visible sont comptabilisées, comme le sont les unions entre des personnes appartenant à différents groupes de minorités visibles. Selon cette mesure, la proportion de l’ensemble des couples mariés ou en union libre disant former une union mixte a augmenté de façon constante, passant de 2,6 % de tous les couples en 1991 à 3,1 % en 2001, à 3,9 % en 2006 et à 4,6 % en 20113. Ces estimations montrent que si la proportion d’unions mixtes demeure relativement faible, le pourcentage d’unions mixtes a pratiquement doublé au cours de ces deux décennies.

L’utilisation de cette mesure soulève d’importantes considérations en raison des limites liées au concept de groupes de minorités visibles sur lequel elle repose. L’une d’entre elles concerne le classement des personnes qui s’identifient comme étant Blanches et faisant partie d’un groupe de minorité visible. Dans certains cas, elles sont classées en tant que « minorité visible » (p. ex. elles sont classées comme Noires si elles se disent Noires ou Blanches), mais dans d’autres cas, elles sont plutôt classées dans la catégorie « Pas une minorité visible » (c’est notamment le cas de celles qui se disent à la fois Asiatiques occidentales et Blanches). Un autre élément important à considérer tient au fait que certaines catégories de minorités visibles font référence à des pays d’origine, comme la Corée ou la Chine, tandis que d’autres font référence à des régions d’origine, comme l’Asie du Sud ou l’Amérique latine. Cette considération s’avère importante, car cette mesure repose sur le fait que les personnes sont classées dans différents groupes de minorités visibles afin d’être comptabilisées comme faisant partie d’une union mixte.

Mesure des unions mixtes selon le pays d’origine

Outre les catégories de minorités visibles, le pays d’origine constitue un autre aspect important de la diversité raciale et ethnique des couples, celui-ci étant susceptible de déterminer ou de façonner les normes et les valeurs sociales acquises, de même que la culture et la langue d’une personne. Les Canadiens interrogés dans le cadre du Recensement de 2016 ont indiqué 124 pays différents comme lieu de naissance. L’immigration ajoute de la diversité à la société canadienne dans son ensemble ainsi qu’aux familles qui la composent. La combinaison de ce facteur avec les mesures relatives aux minorités visibles peut ainsi favoriser une meilleure compréhension des unions mixtes et, plus largement, de la diversité des couples.

Portrait de la diversité des unions selon l’appartenance à une minorité visible et le pays d’origine

Les unions homogames (similaires) et hétérogames (mixtes) peuvent être mesurées de deux façons : minorité visible et pays d’origine.

À quel point les unions mixtes sont-elles courantes de nos jours?

Selon les catégories de minorités visibles, 7 % de l’ensemble des unions au Canada sont mixtes, 6,7 % d’entre elles étant formées d’un partenaire blanc et d’un partenaire appartenant à une minorité visible, et 0,6 % de partenaires appartenant à différents groupes de minorités visibles (tableau 1).

Selon les différents pays d’origine, 16 % de l’ensemble des couples forment une union mixte dont les deux partenaires sont nés dans des pays différents. Parmi ces couples, 12 % (environ un sur huit) comptent un partenaire né au Canada, et 4 % comptent deux partenaires nés dans des pays différents, à l’extérieur du Canada (tableau 1).

 

Mesurer la diversité des couples en fonction de leur appartenance à une minorité visible ne donne pas un portrait complet de la situation

La diversité des unions s’avère en effet sous-estimée lorsque l’appartenance à une minorité visible demeure le seul critère utilisé pour la mesurer. La figure 1 illustre la diversité des unions en fonction du pays d’origine chez les couples classés comme homogames selon l’appartenance à une minorité visible. En d’autres termes, cette figure compare le pays d’origine des couples composés de personnes qui sont toutes deux de race blanche ou qui appartiennent toutes deux à une même minorité visible.

Comme le montre le tableau 1, les unions homogames entre personnes de race blanche représentent les deux tiers de l’ensemble des couples mariés ou en union libre. Parmi les couples de race blanche, 20 % sont formés d’un partenaire né au Canada et d’un partenaire né à l’étranger, alors que 13 % d’entre eux sont formés de partenaires nés dans des pays différents, à l’extérieur du Canada (figure 1).

Les unions dans lesquelles les deux partenaires appartiennent à la même minorité visible sont également ventilées selon le pays d’origine desdits partenaires. De telles unions représentent 17 % de l’ensemble des unions (tableau 1). Dans la majorité de ces couples, les deux partenaires proviennent du même pays, à l’extérieur du Canada, alors que chez 13 % d’entre eux, les deux partenaires appartiennent à la même minorité visible, bien qu’étant nés dans des pays différents (figure 1).

Définir ce que l’on entend par unions mixtes est un processus complexe et dynamique

Une étude ayant passé en revue les travaux de recherche portant sur les unions mixtes a fait valoir que les critères utilisés pour qualifier de telles unions peuvent avoir une incidence sur la perception que l’on a de leur fréquence4. Les auteurs soutiennent que l’on devrait plutôt inscrire le terme « mixte » sur un continuum basé sur des caractéristiques spécifiques d’intérêt, comme la race et l’ethnicité.

La figure 1 ci-dessous illustre la complexité d’une telle classification des unions mixtes. En raison des limites liées à la façon dont sont classifiées les divers groupes de minorités visibles et de l’utilisation de cette seule classification comme mesure de la diversité, certaines unions diversifiées sont comptabilisées, alors que d’autres ne le sont pas.

Les personnes se disant de race blanche et qui sont répertoriées dans la catégorie « Pas une minorité visible » ne constituent pas un groupe homogène. À titre d’exemple, un couple italo-grec n’aura peut-être pas à faire face à des différences d’identité raciale, mais il aura peut-être à composer avec des différences culturelles dans la relation, comme c’est le cas pour les couples formant des unions mixtes qui évoluent au sein de certains groupes de minorités visibles.

La catégorisation des minorités visibles par la Loi sur l’équité en matière d’emploi comporte elle aussi son lot d’ambiguïtés. Bien que certaines catégories fassent référence aux personnes vivant au Canada pour y avoir immigré ou dont les ancêtres y ont immigré d’un pays en particulier (catégories telles que « Japonais » ou « Philippins »), d’autres font référence à des régions plus larges (catégories telles que « l’Asie du Sud » ou « l’Amérique latine »). Cela démontre encore une fois que ces mesures ne sont qu’une façon de saisir une partie de la diversité ethnique et raciale au sein des couples.

 

Les unions mixtes sont plus fréquentes chez les citadins, les personnes ayant un niveau de scolarité élevé et les partenaires de même sexe

La proportion de couples mixtes qui habitent en ville, sont titulaires de diplômes universitaires et ont des partenaires de même sexe est plus élevée que celle de leurs homologues non mixtes, et ce, suivant les deux mesures.

Comparativement aux couples dont les deux membres sont de race blanche, les couples mixtes sont plus nombreux à détenir un diplôme universitaire (tableau 2). Un peu plus des trois quarts des couples (76 %) composés d’un partenaire de race blanche et d’un partenaire appartenant à une minorité visible, et 97 % des couples composés de partenaires appartenant à des minorités visibles différentes vivent dans les grandes villes, comparativement à 64 % des couples dont les deux membres sont de race blanche. En outre, un pourcentage légèrement plus élevé de couples mixtes forment des unions de même sexe, par rapport aux couples homogames de race blanche.

On observe des tendances similaires en ce qui concerne les couples mixtes selon le pays d’origine (tableau 3). Comparativement aux couples dont les deux membres sont nés au Canada, une plus grande proportion de couples mixtes ont un diplôme universitaire, vivent dans de grandes villes et sont formés de partenaires de même sexe. Ces tendances demeurent même lorsque l’on tient compte des différences d’âge entre ces couples.

 

La diversité accrue des couples reflète une plus grande diversité au Canada

De telles tendances peuvent s’expliquer par l’accroissement des possibilités tant physiques que sociales de rencontrer des personnes d’origines différentes, ainsi que par l’évolution des mœurs entourant les pratiques en matière de mariage. Certaines sous-populations peuvent par ailleurs bénéficier davantage de telles possibilités. Les citadins, les personnes ayant un niveau de scolarisation élevé et les couples de même sexe, par exemple, sont davantage susceptibles de pouvoir d’accéder à des quartiers, à des écoles et à des lieux de travail plus inclusifs et diversifiés5. Song et Qian soulignent l’importance d’étudier les écarts entre les classes sociales en regard des personnes qui ont accès ou non à de tels espaces diversifiés ainsi qu’à la formation d’unions évoluant au-delà des frontières ethniques et raciales6.

Bien que l’augmentation du nombre de couples mixtes ne soit pas en soi un indicateur de changement social ou d’acceptation des groupes minoritaires, elle doit son envol à la diversité croissante du Canada.

Kathya Aathavan, M.A., est diplômée du Département de sociologie de l’Université Western Ontario et s’intéresse à la recherche sur la famille, la migration et la démographie.


Notes

  1. STATISTIQUE CANADA, « Les unions mixtes au Canada », rapport (2014). Lien : https://bit.ly/3jn4jpi
  2. Les personnes déclarant une « ascendance autochtone » ne sont pas considérées comme une minorité visible.
  3. STATISTIQUE CANADA, 2014.
  4. OSANAMI TÖRNGREN S., N. IRASTORZA et M. SONG,« Toward Building a Conceptual Framework on Intermarriage » dans Ethnicities, 2016, vol. 16, no 4. Lien : https://bit.ly/3d6qFrh
  5. QIAN, Z., et D. T. LICHTER, « Changing Patterns of Interracial Marriage in a Multiracial Society » dans Journal of Marriage and Family, 2011, vol. 73, no 5, p. 1065-1084. Lien : https://bit.ly/3x2JpQx; ROSENFELD, M. J., et B.-S. KIM, « The Independence of Young Adults and the Rise of Interracial and Same-Sex Unions » dans American Sociological Review, 2005, vol. 70, no 4, p. 541-562. Lien : https://bit.ly/35UTJOH; WRIGHT, R., et autres, « Crossing Racial Lines: Geographies of Mixed-Race Partnering and Multiraciality in the United States » dans Progress in Human Geography, 2003, vol. 27, no 4, p. 457-474. Lien : https://bit.ly/3qDQyEA
  6. SONG, M., « Is Intermarriage a Good Indicator of Integration? » dans Journal of Ethnic and Migration Studies, 2009, vol. 35, no 2, p. 331-348. Lien : https://bit.ly/2SyiywL; QIAN, Z., « Breaking the Last Taboo: Interracial Marriage in America » dans Contexts, 2005, vol. 4, no 4, p. 33-37. Lien : https://bit.ly/3w03rtx
Retour en haut