Vivre sous le même toit : Les foyers multigénérationnels au Canada (mise à jour au Recensement de 2021)

Aperçu actualisé du nombre croissant de ménages multigénérationnels au Canada.

28 juillet 2022

Nathan Battams

Bien que chaque famille porte en elle-même plus d’une génération, les ménages multigénérationnels (c.-à-d. qui abritent trois générations ou plus) n’ont jamais représenté un mode de cohabitation dominant au Canada. Or, comme en témoignent les données du recensement, il s’agit du type de profil familial qui a connu la croissance la plus rapide au cours des dernières décennies, ce qui a alimenté les réflexions au sujet de ce mode de vie.

Si les ménages multigénérationnels ont toujours fait partie du paysage familial canadien, un éventail de facteurs ont contribué à leur croissance récente, qu’il s’agisse notamment de choix personnels, des conditions socioéconomiques, du vieillissement de la population, de préférences culturelles ou encore de la complexité grandissante des modes de cohabitation des familles. Les ménages s’avèrent également fluides, leur taille et leur composition étant susceptibles de changer au fil du temps, alors que les familles sont appelées à s’adapter et à s’ajuster aux événements et aux transitions de la vie, comme la naissance d’un enfant, un mariage ou un divorce, des bouleversements économiques ou des changements sur le plan de la santé1.

Afin de mieux comprendre les familles dans toute leur diversité, leur capacité d’adaptation et les relations intergénérationnelles, il importe d’en apprendre davantage au sujet des ménages familiaux multigénérationnels. À l’instar de l’ensemble des ménages familiaux, ils sont à la fois diversifiés et uniques, mais ils comportent également certaines expériences, forces et vulnérabilités qu’il convient de souligner et qui méritent une attention particulière de la part des chercheurs, des décideurs ainsi que de tous ceux et celles qui s’intéressent de près ou de loin aux familles et à leur bien-être.

Les ménages multigénérationnels représentent le type de ménages qui connaît la plus forte croissance

Selon les données du recensement, le Canada comptait en 2021 près de 442 000 ménages multigénérationnels. Or, ceux-ci ne représentent que 2,9 % de l’ensemble des ménages privés, bien qu’ils abritent désormais 2,4 millions de personnes, soit 6,4 % de la population totale2. Le nombre de ménages multigénérationnels a augmenté de 50 % depuis 2001, soit bien plus que l’augmentation globale de 30 %.

Un nombre croissant d’enfants de 14 ans et moins cohabitent avec leurs grands-parents. En 2021, 9 % des enfants de 14 ans et moins (517 000) vivaient avec au moins un grand-parent, comparativement à 3,3 % en 2001. Parmi ceux-ci, plus de 9 sur 10 (93 %) vivaient au sein de ménages multigénérationnels.

Selon le plus récent cycle de l’Enquête sociale générale (ESG) sur les familles, en 2017, 5 % des grands-parents cohabitaient avec au moins un petit-enfant, soit une légère hausse par rapport à la proportion de 4 % observée en 19953.

Le vieillissement de la population contribue à ce que davantage de grands-parents cohabitent avec les générations plus jeunes

Compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’espérance de vie, de plus en plus de familles canadiennes comportent à ce jour des membres plus âgés. Le vieillissement de la population se conjugue également à d’autres tendances, comme les besoins en matière de soins intergénérationnels, la hausse des frais d’habitation et l’accroissement des groupes de population plus susceptibles de partager un toit avec les générations plus jeunes, ce qui contribue à la croissance des ménages multigénérationnels.

En 2021, près d’un Canadien sur cinq (19 %) était âgé de 65 ans ou plus, contre 13 % en 20014. Cette proportion devrait augmenter à environ 23 % d’ici 20315, et pourrait atteindre 30 % d’ici 20686. L’espérance de vie à l’âge de 65 ans, qui augmente régulièrement et qui contribue à une telle croissance, atteint actuellement un niveau record de 22,2 ans (87,2 ans) chez les femmes et de 19,5 ans (84,5 ans) chez les hommes7. La mobilité accrue de même que les progrès réalisés dans les domaines des soins à domicile, du transport public et des technologies d’assistance contribuent désormais à multiplier les possibilités pour les aînés en ce qui concerne le choix du lieu de résidence et du mode de vie.

La cohabitation multigénérationnelle est plus répandue chez les familles autochtones et les familles de nouveaux arrivants

Les Autochtones et les nouveaux arrivants – qui non seulement sont de plus en plus nombreux, mais qui représentent aussi une proportion croissante de la population canadienne – sont plus susceptibles que le reste de la population de vivre au sein de ménages multigénérationnels. Plusieurs facteurs sous-jacents à cette tendance sont liés aux choix et au contexte, comme les stratégies financières (c.-à-d. la mise en commun des revenus et des coûts), la pénurie de logements et les particularités culturelles en lien avec la famille élargie8.

Selon les plus récentes données de recensement disponibles, près de la moitié (46 %) des Inuits du Canada vivaient au Nunavut en 2016, où 93 % des enfants de moins de 5 ans étaient Inuits, le tiers (33 %) d’entre eux vivant avec au moins un de leurs grands-parents9. À l’échelle nationale, plus d’un enfant de moins de 5 ans sur cinq issu des Premières Nations (21 %) ou d’une famille inuite (23 %) cohabitaient avec un grand-parent en 2016, soit plus du double de la proportion d’enfants non autochtones (10 %)10.

Les familles nouvellement établies au Canada sont également plus susceptibles de vivre au sein de ménages multigénérationnels que le sont les familles nées au pays. Les données de l’ESG de 2017 ont révélé que les grands-parents nés à l’extérieur du Canada (9 %) étaient plus de deux fois plus enclins que leurs homologues nés au Canada (4 %) à cohabiter avec leurs petits-enfants11. La cohabitation multigénérationnelle permet en outre aux immigrants récents de bénéficier d’un soutien sur les plans social, économique et culturel, en plus de faciliter la prestation de soins. Or, cette familiarité et ce soutien peuvent s’avérer essentiels à leur bien-être alors qu’ils sont appelés à s’adapter et à établir une stabilité financière ainsi que de nouveaux liens sociaux.

Il n’est donc pas surprenant que les régions métropolitaines de recensement (RMR) comportant les plus fortes proportions de ménages multigénérationnels, selon le Recensement de 2021, accueillent également parmi les pourcentages les plus élevés de nouveaux arrivants. C’est notamment le cas à Abbotsford-Mission (22 % des ménages), à Brampton (28 %), à Markham (23 %) ainsi que dans d’autres municipalités de la région du Grand Toronto.

Les frais d’habitation ont une incidence importante sur la cohabitation multigénérationnelle

Les frais associés au logement contribuent à l’augmentation du nombre de ménages multigénérationnels, et leur incidence est de plus en plus débattue sur la scène médiatique ainsi qu’au Parlement et au sein des familles.

En 2021, près d’un Canadien sur cinq (19,5 %) affirmait consacrer 30 % ou plus de son revenu à son logement (ce qui correspond au seuil définissant un « logement inabordable » au Canada12)13. Le prix moyen d’une maison au Canada était de près de 666 000 $ en juin 2022 et pouvait aller jusqu’à 1,2 million de dollars dans le Grand Vancouver et le Grand Toronto14.

La cohabitation multigénérationnelle facilite la prestation des soins familiaux

Certaines familles choisissent la cohabitation multigénérationnelle afin que les plus jeunes puissent s’occuper de leurs proches vieillissants. De fait, la présence régulière des membres de la famille contribue à réduire l’isolement social chez les adultes plus âgés, un phénomène qui entraîne un vaste éventail de conséquences néfastes pour la santé et le bien­être, comme l’ont montré certaines études.

Les données de l’ESG de 2018 ont révélé qu’au cours de la dernière année, le quart des Canadiens de 15 ans et plus avaient pris soin d’un membre de leur famille ou d’un ami ayant une incapacité physique ou mentale de longue durée ou un problème associé au vieillissement. Jusqu’à 18 % des Canadiens âgés de 15 à 30 ans disaient avoir fourni des soins à leur famille, les grands-parents en étant les principaux bénéficiaires (33 % affirmaient avoir pris soin d’un grand-parent)15.

Au sein d’un ménage multigénérationnel, c’est souvent la génération intermédiaire, parfois appelée « génération sandwich », qui subit les pressions multiples que supposent les soins aux aînés en même temps qu’aux enfants. Toutefois, la cohabitation contribue parfois à réduire le stress et les coûts associés aux soins à prodiguer lorsqu’un proche habite dans une autre ville, voire une autre province.

Par ailleurs, plusieurs grands­-parents qui vivent sous le même toit que leurs petits-­enfants s’occupent de ces derniers pendant que les parents sont au travail, à l’école ou occupés à faire les courses. Cela s’avère utile aux familles, le coût des services de garde occupant parfois une part considérable des revenus familiaux. Un tel soutien est particulièrement bienvenu pour les parents d’enfants en bas âge, puisque les places en garderie sont non seulement les plus rares, mais aussi les plus chères16.

De nombreux aînés au sein des ménages multigénérationnels y apportent également une contribution financière. En 2011, plus de la moitié d’entre eux (soit 50,3 %) disaient participer d’une manière ou d’une autre aux dépenses du ménage, et une proportion encore plus importante de ceux­-ci contribuaient financièrement lorsque la génération intermédiaire était constituée d’un parent seul (75 %)17.

La conception des maisons et des habitations évolue parallèlement à l’évolution des modes de cohabitation des familles

Peu importe la grandeur de la maison, les familles doivent faire preuve d’ingéniosité pour composer avec les limites d’espace tout en respectant le besoin d’autonomie de l’ensemble des occupants. Certains choisissent d’annexer à leur résidence des logements auxiliaires à l’intention de leurs parents, c’est-à-dire des annexes conçues expressément pour le logement de personnes plus âgées (on entend parfois les expressions « pavillon-jardin » ou « logement accessoire »).

D’ailleurs, les associations d’architectes et de constructeurs d’habitations surveillent cette tendance à la cohabitation multigénérationnelle. De nouvelles maisons sont construites en tenant compte de celle-ci, prévoyant parfois des aires de vie supplémentaires disposant soit d’une entrée indépendante, soit d’une entrée commune avec la résidence principale.

Les décideurs ont également adopté des mesures pour soutenir la cohabitation multigénérationnelle dans la résidence actuelle en annonçant un nouveau crédit d’impôt remboursable pour la rénovation d’habitations multigénérationnelles, offert aux ménages qui désirent intégrer à leur résidence un logement secondaire destiné à un membre de la famille immédiate ou élargie. À compter du 1er janvier 2023, les familles pourront réclamer un crédit d’impôt de 15 % sur un montant maximum de 50 000 $ en frais de rénovation et de construction, un soutien pouvant atteindre 7 500 $.

Les ménages multigénérationnels continueront à faire l’objet de recherches et à influencer les politiques

Les ménages multigénérationnels n’ont en soi rien de nouveau, mais ils attirent de nos jours davantage l’attention, notamment parce que leur nombre augmente et qu’ils abritent une proportion croissante de Canadiens et Canadiennes. Diverses raisons peuvent expliquer une telle tendance et reposent généralement sur un amalgame de choix, de circonstances et de particularités culturelles.

Ce mode de cohabitation peut être favorable au bien-être de la famille, en plus de faciliter les relations intergénérationnelles, d’apporter un soutien aux membres de la famille et de contribuer à contrer la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Mais à chaque chose, son contexte. Même si un tel arrangement est favorable aux soins et au soutien, la cohabitation multigénérationnelle peut aussi être une source de stress, d’entassement, voire de tensions intergénérationnelles.

Si les maisons et les propriétés adaptées à ce mode de vie s’avèrent souvent bénéfiques pour le bien-être des familles multigénérationnelles, quelle incidence une telle tendance peut-elle avoir sur les personnes vivant en appartement et qui n’ont plus les moyens de s’offrir un logement en raison de la hausse des prix sur le marché? De même, qu’en est-il pour les ménages touchés par la violence familiale?

Quoi qu’il en soit, il demeure essentiel de mieux comprendre la réalité des familles cohabitant au sein de ménages multigénérationnels pour favoriser le bien-être de l’ensemble des familles au Canada. Comme tous les changements et toutes les tendances qui surviennent au fil du temps en matière de cohabitation, un tel mode de vie n’est que le reflet de leur capacité d’adaptation et d’ajustement au contexte socioéconomique en perpétuelle évolution. Les données du Recensement de 2021 sur cette tendance évolutive joueront donc un rôle important quant à la façon d’aménager les logements, quant à la planification des milieux de vie, et quant à l’élaboration et à l’administration de programmes destinés aux enfants, aux adolescents et aux aînés des quatre coins du pays.

Nathan Battams est spécialiste en mobilisation des connaissances à l’Institut Vanier de la famille.

Cet article a été mis à jour le 6 février 2023 afin d’y ajouter des renseignements sur le crédit d’impôt remboursable pour la rénovation d’habitations multigénérationnelles.


Notes

  1. STATISTIQUE CANADA, « Histoire de famille : les adultes vivant avec leurs parents » dans Le Quotidien, 2019. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/daily-quotidien/190215/dq190215a-fra.pdf?st=cQVPvNSN
  2. STATISTIQUE CANADA, Chiffres de population et des logements : Canada, provinces et territoires, tableau no 98-10-0001-01, 2022. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=9810000101&request_locale=fr; et STATISTIQUE CANADA, Situation dans la famille de recensement et dans le ménage, type de ménage de la personne, groupe d’âge et genre : Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, tableau no 98-10-0134-01, 2022. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=9810013401&request_locale=fr
  3. STATISTIQUE CANADA, « Histoire de famille : les grands-parents au Canada » dans Le Quotidien, 2019. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/190207/dq190207a-fra.htm?HPA=1
  4. STATISTIQUE CANADA, « Profil de la population canadienne selon l’âge et le sexe : le Canada vieillit » dans « Série analytique du recensement de 2001 », Recensement de 2001, 2002.
    Lien : https://publications.gc.ca/Collection/Statcan/96F0030X/96F0030XIF2001002.pdf
  5. STATISTIQUE CANADA, « Chiffres selon l’âge et le sexe, et selon le type de logement : Faits saillants du Recensement de 2016 » dans Le Quotidien, 2017. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/170503/dq170503a-fra.htm?HPA=1
  6. STATISTIQUE CANADA, « Projections démographiques pour le Canada, les provinces et les territoires, 2018 à 2068 » dans Le Quotidien, 2019. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/190917/dq190917b-fra.htm
  7. STATISTIQUE CANADA, « Décès, 2019 » dans Le Quotidien, 2020. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/201126/dq201126b-fra.htm
  8. STATISTIQUE CANADA, « Seul chez soi : Le nombre de personnes vivant seules est plus élevé que jamais, mais les colocataires sont le type de ménage qui connaît la plus forte croissance » dans Le Quotidien, 2022. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220713/dq220713a-fra.htm
  9. STATISTIQUE CANADA, « Les peuples autochtones au Canada : faits saillants du Recensement de 2016 » dans Le Quotidien, 2017. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/171025/dq171025a-fra.htm
  10. STATISTIQUE CANADA, « Les différentes caractéristiques des familles des enfants autochtones de 0 à 4 ans » dans Recensement en bref, 2017. Lien : https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-sa/98-200-x/2016020/98-200-x2016020-fra.cfm
  11. STATISTIQUE CANADA, « Histoire de famille : les grands-parents au Canada ».
  12. SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT, À propos du logement abordable au Canada, dernière mise à jour le 31 mars 2018. Lien : https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/professionals/industry-innovation-and-leadership/industry-expertise/affordable-housing/about-affordable-housing/affordable-housing-in-canada
  13. STATISTIQUE CANADA, « Les défis liés au logement persistent chez les populations vulnérables en 2021 » dans Le Quotidien, 2022. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220721/dq220721b-fra.htm?utm_source=twt&utm_medium=smo&utm_campaign=statcan-chs-ecl-22-23
  14. L’ASSOCIATION CANADIENNE DE L’IMMEUBLE, Statistiques sur le marché de l’habitation canadien, 2022. Lien : https://www.crea.ca/fr/analyses-du-marche-de-lhabitation/statistiques-sur-le-marche-de-lhabitation-canadien/carte-du-prix-national/
  15. Paula ARRIAGADA, Farhana KHANAM et Yujiro SANO, « Chapitre 6 : La participation politique, l’engagement civique et la prestation de soins chez les jeunes au Canada » dans Portrait des jeunes au Canada : Rapport statistique, 2022. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/42-28-0001/2021001/article/00006-fra.htm
  16. David MACDONALD et Martha FRIENDLY. Game Changer: Will provinces and territories meet the new federal child care fee targets? Canadian child care fees 2021, 2022. Lien : https://policyalternatives.ca/gamechanger
  17. Anne MILAN, Nadine LAFLAMME et Irene WONG, « La diversité des grands-parents qui vivent avec leurs petits-enfants » dans Regards sur la société canadienne, 2015. Lien : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-006-x/2015001/article/14154-fra.htm
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