Trois leçons à tirer du modèle québécois de services de garde

Leçons à tirer du modèle québécois de services de garde pour les autres provinces et territoires du Canada

20 mars 2023

Sophie Mathieu, Ph. D.

À partir de 1997, le Québec met progressivement en place un réseau de service de garde à faible coût à travers la province. Cette initiative a connu beaucoup de succès tout en présentant de nombreux défis dont les autres provinces et territoires peuvent tirer des enseignements précieux, alors qu’ils s’emploient à établir leur propre réseau de services de garde.

Au Québec, la pertinence d’offrir des services de garde à faible coût est un débat clos. Néanmoins, le réseau fait face à d’autres enjeux et défis. Ceux-ci incluent, entre autres, l’insuffisance du nombre de places, la qualité des soins et les problèmes de recrutement et de rétention du personnel1, 2. Ces enjeux étant déjà bien documentés, nous mettons ici en lumière trois leçons à tirer de l’expérience québécoise qui ont à ce jour moins retenu l’attention.

Leçon 1 : Les services de garde du modèle québécois ne sont pas tous des « garderies »

Lors de l’énoncé économique de 2020, Chrystia Freeland a affirmé que « tout comme la Saskatchewan a pavé la voie au Canada en matière de santé […], le Québec peut montrer au Canada le chemin à suivre quant aux garderies3 ». La vice-première ministre a dit vouloir s’inspirer du modèle québécois dans la mise en place d’un réseau national de services de garde.

Or, le modèle québécois dans sa forme originale n’est pas celui d’une offre prépondérante de services dans des « garderies », mais bien dans des centres de la petite enfance (CPE). Les termes « garderies » et « CPE » ne sont pas des synonymes, parce qu’ils font référence à des types de services de garde différents. Les garderies sont des entreprises privées dont la finalité est de faire du profit. Elles ne sont pas au cœur du modèle québécois.

Il existe au Québec deux types de garderies : celles qui offrent des places subventionnées au même prix que celles offertes dans les CPE, et celles non subventionnées qui offrent des places au prix du marché, bien au-delà de 10 $ par jour. Les CPE, quant à eux, ne sont pas axés sur les profits.

La différence entre un CPE ou un service de garde à but non lucratif et une garderie n’est pas uniquement sémantique, ni même idéologique. De façon générale, les garderies du Québec offrent des services de qualité moindre comparativement aux CPE, même si, dans l’ensemble, le Québec ne peut se targuer d’offrir des services de qualité à la majorité des enfants.

Au début des années 2000, une étude a montré que seulement 27 % des milieux de garde offraient un niveau de qualité allant de bon à excellent, une proportion qui grimpait à 35 % dans les CPE, mais qui chutait à 14 % dans les garderies commerciales4.

Leçon 2 : Bien que la majorité des places soient offertes à faible coût au Québec, les familles moins nanties ont davantage de difficulté à accéder à des services de garde de qualité

Au Québec, 36 % des tout-petits âgés de 0 à 4 ans ne fréquentent pas un service de garde régi5. On en sait peu sur ces enfants et sur les barrières systémiques, économiques et culturelles qui freinent l’accès des familles à un service de garde.

Le Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2020-20216 met en relief certaines disparités dans l’accès aux services de garde entre les familles à faible revenu et à revenu élevé à Montréal. Par exemple, dans les quartiers Parc-Extension et Saint-Michel, ainsi que dans l’arrondissement de Montréal-Nord, des quartiers avec un haut niveau de défavorisation, le nombre de places offertes est plus élevé dans les garderies que dans les CPE. Pourtant à Westmount, un quartier de Montréal particulièrement riche, le ratio de places disponibles dans les CPE s’avère plus élevé.

En termes simples, les familles plus pauvres ont accès à des garderies de moindre qualité alors que les familles riches ont accès aux meilleurs services offerts dans les CPE.

Leçon 3 : Les services de garde ne représentent que l’une des politiques québécoises contribuant à une plus grande participation des mères au marché du travail

La mise en place d’un réseau de service de garde a été largement justifiée par le gouvernement fédéral par l’importance de soutenir la participation des femmes au marché du travail, en s’inspirant une fois de plus de la situation du Québec.

Si l’effet des services de garde sur la participation des femmes au marché du travail est indéniable, il faut rappeler que les familles québécoises peuvent compter sur une politique familiale cohérente, qui dépasse celle de l’offre de services de garde à faible coût. Depuis 2006, le Québec dispose de son propre programme de prestations parentales, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), qui se différencie du programme fédéral de prestations spéciales de l’assurance-emploi par ses critères d’admissibilité moins contraignants, ses prestations plus généreuses et des prestations de paternité non transférables à la mère7.

La forte participation des mères québécoises au marché du travail résulte d’un contexte institutionnel qui va au-delà de la disponibilité des services de garde. Si le gouvernement fédéral souhaite réellement accroître la participation des femmes et des mères au marché du travail, il doit également se pencher sur le programme de prestations parentales.

Sophie Mathieu, Ph. D., est spécialiste principale des programmes à l’Institut Vanier de la famille.


Notes

  1. Mathieu, S. (2021). Qualité des soins en services de garde : un enjeu négligé au Québec. Options politiques. https://policyoptions.irpp.org/magazines/august-2021/qualite-des-soins-en-services-de-garde-un-enjeu-neglige-au-quebec/
  2. Mathieu, S. (2021). Quatre leçons à retenir du modèle québécois de services de garde. Options politiques. https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/april-2021/quatre-lecons-a-retenir-du-modele-quebecois-de-services-de-garde/
  3. Ministère des Finances Canada. (2020). Soutenir les Canadiens et lutter contre la COVID-19 : Énoncé économique de l’automne de 2020. https://www.budget.canada.ca/fes-eea/2020/report-rapport/FES-EEA-fra.pdf
  4. Japel, C., Tremblay, R. E., et Côté, S. (2005). La qualité, ça compte! Résultats de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec concernant la qualité des services de garde. Choix IRPP, 11(4). https://irpp.org/wp-content/uploads/2005/12/vol11no4.pdf
  5. Dagenais, F., et Hotte, J.-P. (2019). Rapport préliminaire du comité-conseil Agir pour que chaque tout-petit développe son plein potentiel. https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/rapport-de-recommandations.pdf.
  6. Ministère de la Famille. (2020). Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2020-2021 : Accessibilité aux services de garde éducatifs à l’enfance. https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport-annuel/165/vgq_ch02_cpe_web.pdf
  7. Mathieu, S. (2023). Accès aux prestations parentales au Canada : Analyse de l’accès aux prestations parentales au Canada au cours des 50 dernières années [Exposé de politiques]. L’Institut Vanier de la famille. https://vanierinstitute.ca/fr/ expose-de-politiques-acces-aux-prestations-parentales-au-canada
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