Recherche en bref : (Re)conceptualiser le bien‑être de la famille

Gaby Novoa

14 octobre 2020

Les familles ont évolué au fil des générations, tout comme notre compréhension et nos conversations entourant le bien-être des membres des familles sur le plan individuel, ainsi que celui de la cellule familiale dans son ensemble. Or, comme le souligne Sue L. T. McGregor, Ph. D., IPHE, professeure émérite à l’Université Mount Saint Vincent, bien que les discussions portant sur le bien-être à la fois individuel et familial ne datent pas d’hier, il ne semble pas y avoir de consensus quant à la distinction entre ces deux concepts et, par conséquent, on a tendance à les confondre et à les combiner.

Dans le document Conceptualizing Family Well-being1, Mme McGregor insiste sur l’importance de bien définir le concept de bien-être familial, car ce dernier est régulièrement utilisé et a une incidence sur la recherche, les politiques, l’éducation et la pratique, et ce, malgré un certain flou conceptuel. Bien qu’ils soient interreliés à de nombreux égards, le bien-être individuel et le bien-être familial sont des concepts distincts qui justifient des mesures et des cadres différents, soutient-elle.

Dans sa monographie, Mme McGregor passe en revue une partie de la littérature des trois dernières décennies (1993-2019) portant sur le bien-être de la famille et du groupe, et relève un nombre important de thèmes et d’éléments communs. Alors qu’elles trouvent racine dans divers domaines, notamment l’éducation de la petite enfance, les études sur l’enfant et la famille, les politiques familiales et sociales, les organismes familiaux et parentaux ainsi que les études en psychologie, ces conceptualisations offrent des perspectives différentes tout en se recoupant. Parmi les grands thèmes récurrents figuraient la stabilité, la sécurité, l’action et l’autonomie ainsi que diverses approches collectives du bien-être. Ensemble, ces thèmes mettent en relief les multiples facettes et la nature complexe du bien-être.

Une conceptualisation du bien-être familial proposée par Mme McGregor

Mme McGregor contribue aux discussions actuelles et à la reconceptualisation en cours en proposant un aperçu du bien-être familial, qu’elle détaille en huit éléments. Elle souligne que sa proposition se veut un outil servant à amorcer le dialogue, « et non une façon d’opérationnaliser la recherche, les politiques ou la pratique à ce stade » [traduction]. De plus, étant donné que les connaissances sur lesquelles repose son analyse documentaire à l’égard de certaines parties du monde, comme les pays de l’Est (Asie et Moyen-Orient), de l’Amérique centrale et du Sud (y compris les Caraïbes) et de l’Afrique ainsi que les peuples autochtones, demeurent insuffisantes, tout comme le sont les efforts déployés à ce jour afin de conceptualiser le bien-être de la famille, Mme McGregor précise que cette étude aurait avantage à être élargie et approfondie en ayant recours à des sources plus diversifiées.

  • La stabilité et la sécurité financières englobent à la fois la situation économique et le budget de la famille, le tout étant composé de nombreux éléments différents, notamment : le revenu familial et les perceptions quant à son adéquation et à sa situation financière; les obligations; l’endettement; les difficultés financières et les problèmes connexes; l’incertitude financière, le sentiment de sécurité financière, la perception quant à l’obligation de subvenir financièrement aux besoins de la famille; ainsi que la gestion des ressources, les capacités et les compétences familiales. La sécurité économique des familles est associée à leur degré de protection contre les risques économiques, ce qui contribue à la stabilité financière. Cette sécurité est liée et peut être mesurée par la capacité d’une famille à accéder aux ressources et à saisir les occasions qui se présentent « afin de gérer l’incertitude, de subvenir aux besoins essentiels et d’atteindre des objectifs » [traduction].
  • Le bien-être relationnel (intra- et interpersonnel) reconnaît la qualité des relations comme la clé du bien-être et repose sur les liens qui existent entre les membres de la famille, le regard qu’ils posent les uns sur les autres et la façon dont ils se comportent les uns envers les autres. Les processus intrafamiliaux font référence aux interactions entre – et parmi – les membres de la famille au sein de la cellule familiale. Les chercheurs ont constaté que « les relations et les règles relationnelles sont liées à la flexibilité familiale, ce qui signifie qu’il importe de demeurer ouvert au changement lorsque l’on fait face à des circonstances différentes, plutôt que de lutter pour que rien ne change (stabilité) » [traduction].
  • La dynamique et la cohésion de groupe sont axées sur la dynamique familiale, soit la manière dont les familles fonctionnent et les processus (comportementaux et psychologiques) impliqués lorsque les personnes d’un groupe interagissent les unes avec les autres, ce qui peut avoir une incidence sur l’évolution et l’état de bien-être des membres de la famille. Alors que cette dimension porte également sur la qualité des relations, elle souligne précisément que les interactions saines ou malsaines sont liées à l’établissement (ou à l’absence) de règles et de limites ainsi qu’au respect de celles-ci, ce qui a des répercussions sur le bien-être de la famille.
  • L’autonomie familiale a trait à l’indépendance d’une cellule familiale et au pouvoir dont elle dispose pour déterminer ses propres règles et limites. Cette autonomie fait référence à la capacité d’une famille de s’autogouverner sans intervention ou interférence des autorités extérieures. Ces interventions incluent le système judiciaire et la médiation ou le contrôle par la société (p. ex. : les travailleurs sociaux, les enseignants ou des voisins préoccupés).
  • La santé collective tient compte de la santé globale de la cellule familiale, et non seulement de celle de ses membres individuels. L’approche collective implique le maintien de la santé par des moyens préventifs plutôt que par de simples mesures correctives. Récemment, des chercheurs américains en médecine se sont intéressés au bien-être collectif comme mesure holistique de la santé globale d’une communauté. À l’instar des communautés, les familles sont des unités dotées de leurs propres structures, cultures et valeurs, qui peuvent jouer un rôle dans la constitution de leur santé collective.
  • Le lien communautaire et le sentiment d’appartenance ressenti par la famille contribuent au bien-être. Ces liens répondent aux besoins sociaux d’une famille et favorisent le bien-être en s’appuyant sur des valeurs et des principes comme la confiance, la réciprocité et l’engagement social. Mme McGregor cite une étude réalisée en Nouvelle-Zélande en 2016 qui a révélé que les familles gagnent en force et en durabilité lorsqu’elles sont accueillies dans leur communauté et qu’elles sentent qu’elles y ont leur place. Ce soutien social leur donne en outre le sentiment d’être importantes, acceptées, en sécurité, protégées et valorisées : tous des facteurs qui favorisent le bien-être de la famille.
  • La santé spirituelle d’une personne comporte généralement les caractéristiques suivantes : un lien avec les autres, le désir de trouver un sens et un but à la vie et la transcendance (c.-à-d. le fait de dépasser les expériences humaines « normales » pour atteindre d’autres sphères). Selon une étude, la santé spirituelle influencerait la santé physique, mentale et sociale. Pourtant, comme le montre l’analyse documentaire de Mme McGregor, les chercheurs n’ont pas élaboré de définition exhaustive de la santé spirituelle. Or, selon elle, le fait d’inclure cette dimension à titre d’indicateur du bien-être familial « pourrait donner aux familles un objectif en dehors d’elles-mêmes, un point d’ancrage et une source de force et d’inspiration » [traduction].
  • Le bien-être écologique est conceptualisé comme l’interconnectivité entre le bien-être de la planète et celui d’une famille. Mme McGregor soutient que les comportements et le mode de vie des familles favorisant une écologie saine et le bien-être planétaire seraient fondés sur la pleine conscience, la sensibilisation et la responsabilisation. Les familles qui adoptent des habitudes et des pratiques en lien avec le développement durable se porteraient donc « bien sur le plan environnemental » [traduction].  

Soutenir le bien-être des familles est une priorité croissante, comme le fait remarquer Mme McGregor suivant les données d’une récente étude menée dans 49 pays, selon lesquelles « pratiquement toutes les nations accordent plus d’importance au bien-être de la famille qu’à celui de l’individu ». Cette recherche a démontré que « quel que soit le pays ou l’orientation (individuelle ou collective), les gens accordent plus d’importance au bien-être familial (58 %) qu’à leur bien-être personnel (26 %), et seuls 16 % considèrent que ces deux aspects sont tout aussi importants » [traduction].

Alors que l’Institut Vanier continue d’élaborer l’Indice du bien-être de la famille et que les chercheurs et les décideurs des quatre coins du monde poursuivent leur travail en vue d’atteindre les Objectifs de développement durable des Nations Unies2, les efforts déployés par Mme McGregor quant à la nécessité d’allier robustesse et clarté conceptuelles apportent une importante contribution au dialogue actuel qui ne cesse d’évoluer.

Gaby Novoa, Centre de connaissances sur les familles au Canada, Institut Vanier de la famille


Notes

  1. Sue L. T. McGregor, Ph. D., IPHE, professeure émérite à l’Université Mount Saint Vincent, Conceptualizing Family Well-being, McGregor Monograph Series 202001 (mai 2020). Disponible sur le site Web www.consultmcgregor.com.
  2. L’Institut Vanier de la famille, « Objectifs de développement durable ».

 

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