Nathan Battams et Gaby Novoa présentent les résultats d’une étude sur le congé parental et le divorce.
1er avril 2021
ÉTUDE : Rachel Margolis, Ph. D.; Youjin Choi, Ph. D.; Anders Holm, Ph. D.; Nirav Mehta, Ph. D., « The Effect of Expanded Parental Benefits on Union Dissolution », Journal of Marriage and Family, no 83, vol. 1 (février 2021). Lien : https://bit.ly/3F10yNW
Au cours des 50 dernières années, les prestations parentales ont joué un rôle important dans l’augmentation de la participation des mères au marché du travail au Canada. Dans le cadre d’une politique plus vaste axée sur l’égalité entre les sexes qui a été instaurée au cours des dernières décennies, le congé parental a été élargi afin d’encourager les deux parents à prendre un congé pour partager les tâches ménagères et les soins lors de l’arrivée de leur nouveau bébé.
Des recherches ont démontré que les prestations parentales généreuses, flexibles et axées sur l’égalité entre les sexes incitaient les pères à avoir davantage recours au congé parental et à passer plus de temps avec les enfants1. Cette participation masculine accrue a un effet positif sur les relations de couple puisque la répartition inégale des tâches peut souvent être source de friction, voire une cause de dissolution de l’union.
Dans l’article intitulé « The Effect of Expanded Parental Benefits on Union Dissolution », les chercheurs Rachel Margolis, Youjin Choi, Anders Holm et Nirav Mehta utilisent des données administratives anonymisées pour évaluer l’incidence du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) sur le taux de séparation et de divorce, et ils comparent l’influence de ce régime sur les couples mariés et vivant en union libre du Québec par rapport aux couples d’ailleurs au pays. Promulgué en 2006, le RQAP propose des prestations ainsi qu’un congé plus généreux et plus flexibles que le programme fédéral offert dans le reste du Canada, ce qui permet d’illustrer l’incidence de ces types de prestations sur les familles et la vie familiale.
Les auteurs ont suivi des couples ayant eu un enfant en 2005 et en 2006 (juste avant et après l’introduction du RQAP) au Québec et dans le reste du Canada. Ils se sont appuyés sur des données administratives afin de mesurer l’utilisation des prestations parentales et l’état civil, dans le but d’examiner les tendances liées à la dissolution des unions jusqu’à huit années après la naissance. Selon les données obtenues, cette politique aurait contribué globalement à une diminution de 0,5 point de pourcentage du taux de séparation et de divorce chez les nouveaux parents, ce qui représente une baisse de 6 %.
Cette étude unique et innovante apporte des renseignements précieux sur les retombées d’une politique en matière de prestations parentales élargies, et fait ressortir l’influence involontairement positive de cette politique. Même si celle-ci n’avait pas pour objectif de maintenir les couples soudés, elle semble toutefois permettre aux couples de mieux s’adapter à la parentalité, en plus de favoriser un meilleur équilibre entre le travail et les responsabilités familiales.
Les nombreuses retombées des prestations parentales sur la vie de famille et l’égalité entre les sexes
Les politiques en matière de prestations et de congés parentaux procurent une protection d’emploi ainsi qu’un soutien financier à la suite d’une naissance, ce qui a contribué à augmenter le taux de participation au marché du travail des mères ayant de jeunes enfants. Des données montrent qu’entre 1998 et 2019, ce taux d’activité a connu une hausse dans l’ensemble du pays, la croissance la plus forte observée étant au Québec, où le taux d’emploi des nouvelles mères dont le plus jeune enfant était âgé de 0 à 2 ans est passé de 65 % à 80 %, alors qu’il est passé de 67 % à 72 % dans le reste du Canada2.
Lorsque les parents au sein de couples hétérosexuels consolident et partagent les prestations parentales, les femmes sont souvent celles qui utilisent la majorité ou la totalité du congé. Les politiques axées explicitement sur l’égalité entre les sexes, comme celles qui offrent aux pères un congé non transférable « à prendre ou à laisser », favorisent un meilleur partage des soins et des responsabilités ménagères avec les pères.
Depuis 2006, le Québec propose un congé parental plus généreux et plus souple grâce au RQAP, qui offre aux pères un congé non transférable. Depuis l’introduction de ce « congé de paternité », il a été largement utilisé et l’augmentation du taux d’emploi des nouvelles mères a dépassé celui observé dans le reste du pays. Le RQAP s’est inspiré de certaines politiques progressistes de l’Europe qui, de façon générale, se sont traduites par une augmentation du partage égalitaire des tâches ménagères et des soins.
En mars 2019, le gouvernement du Canada a mis en place une prestation parentale partagée de cinq semaines, offerte aux couples (couples de sexe opposé, couples de même sexe et parents adoptifs) qui se partagent le versement des prestations parentales. Bien que cette politique soit moins généreuse et n’élimine pas la période d’attente de deux semaines, elle vise clairement à promouvoir l’égalité entre les sexes à la maison comme au travail3.
Avant la mise en œuvre du RQAP en 2006, l’utilisation des prestations parentales par les pères était déjà deux fois plus élevée au Québec (25 %) que dans le reste du Canada (13 %). Après la modification de la politique, ce pourcentage a encore augmenté, atteignant 66 % des pères (alors que le taux dans le reste du Canada est demeuré à 13 %). Selon les plus récentes données disponibles de Statistique Canada, en 2019, environ 35 % des conjoints ou partenaires (la plupart d’entre eux étant des pères) des nouvelles mères ont demandé ou avaient l’intention de demander des prestations parentales, ce qui représente un taux de participation nettement plus élevé au Québec (86 %) que dans le reste du Canada (21 %)4.
Le RQAP est associé à une diminution des séparations et des divorces, les effets étant plus marqués chez les couples égalitaires
Lorsque les parents au sein de couples hétérosexuels se répartissent les prestations parentales partagées, les femmes finissent souvent par utiliser la majorité, voire la totalité du congé. Les couples expliquent que cette décision de permettre à la mère de prendre un congé plus long que celui du père répond à des considérations biologiques (ex. : le rétablissement de la femme après l’accouchement et l’allaitement) ou financières (le partenaire ayant le revenu le plus faible – généralement la femme – est plus susceptible de rester à la maison). Ainsi, les politiques offrant aux pères des semaines de prestations qui leur sont réservées exclusivement permettent à ces derniers de négocier l’utilisation des prestations parentales plus facilement avec leur partenaire et leur employeur5.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi le RQAP a entraîné une diminution du taux de séparation et de divorce chez les nouveaux parents. Du point de vue « égalitaire », qui met l’accent sur la flexibilité des rôles et le partage des responsabilités au sein de l’union, les auteurs mentionnent plusieurs facteurs non mutuellement exclusifs qui pourraient jouer un rôle : la réduction des conflits liés aux rôles entre les partenaires, le renforcement des relations père-enfant, le partage des responsabilités à l’égard des soins aux enfants, ainsi que l’évolution des attentes dans l’ensemble de la société.
À la suite de leur analyse, les auteurs constatent que les parents dont l’enfant est né au Québec après l’entrée en vigueur du RQAP étaient moins susceptibles, à 0,5 point de pourcentage, d’être séparés ou divorcés cinq ans après la naissance que les parents dont l’enfant est né avant la RQAP. Il s’agit d’une diminution de 6 % du taux de séparation et de divorce, par rapport au taux de séparation cinq ans après la naissance observé avant la promulgation du RQAP (8,6 %).
Rachel Margolis et ses collègues ont constaté que les retombées les plus importantes de cette politique sur la diminution des séparations ont été observées chez les partenaires qui étaient les plus susceptibles de s’identifier comme égalitaires, soit les couples dont les revenus étaient relativement égaux avant la naissance de leur enfant.
Une perspective élargie permet un regard neuf sur l’incidence pour les familles
Cette étude aide à améliorer notre compréhension de l’influence positive que les politiques liées aux familles et à l’emploi peuvent avoir sur les relations familiales. En outre, elles soulignent l’importance d’adopter une perspective élargie pour étudier l’incidence des politiques, qui peuvent engendrer des résultats positifs bien que non intentionnels pour le bien-être des familles.
Cette recherche en bref a été révisée par Rachel Margolis, Ph. D.
Nathan Battams, Mobilisation et application des connaissances, Institut Vanier de la famille
Gaby Novoa, Carrefour du savoir sur les familles au Canada, Institut Vanier de la famille
Notes
- Ásdis A. Arnalds, Guðný Björk Eydal et Ingólfur V. Gíslason, « Equal Rights to Paid Parental Leave and Caring Fathers – The Case of Iceland », Icelandic Review of Politics and Administration, vol. 9, no 2 (2013). Lien : https://bit.ly/2PthuII
Ann-Zofie Duvander et Mats Johansson, « What Are the Effects of Reforms Promoting Fathers’ Parental Leave Use? », Journal of European Social Policy, vol. 22, no 3 (28 juin 2012). Lien : https://bit.ly/31emG5I
John Ekberg, Rickard Eriksson et Guido Friebel, « Parental Leave – A Policy Evaluation of the Swedish “Daddy-Month” Reform », Journal of Public Economics, vol. 97 (Janvier 2013). Lien : https://bit.ly/2PsBvPh
Rachel Margolis, Feng Hou, Michael Haan et Anders Holm, « Use of Parental Benefits by Family Income in Canada: Two Policy Changes », Journal of Marriage and Family, vol. 81, no 2 (avril 2019). - Martha Friendly et autres, Early Childhood Education and Care in Canada 2019, Childcare Resource and Research Unit (17 décembre 2020; révisé le 12 février 2021). Lien : http://bit.ly/3bvRB3q
- Emploi et Développement social Canada, Prestation parentale partagée (dernière mise à jour le 18 mars 2019). Lien : https://bit.ly/3cEKoid
- Statistique Canada, « Enquête sur la couverture de l’assurance emploi, 2019 », Le Quotidien (16 novembre 2020). Lien : https://bit.ly/3ruQuFS
- Lindsey McKay et Andrea Doucet, « “Without Taking Away her Leave” A Canadian Case Study of Couples’ Decisions on Fathers’ Use of Paid Parental Leave », Fathering, vol. 8, no 3 (septembre 2010). Lien : https://bit.ly/3fabwqF