RAPP : Augmenter les retombées des efforts de recherche grâce à la collaboration

Portrait de la recherche sur les politiques et les pratiques relatives au vieillissement ainsi que du nouveau partenariat en soutien aux aidants en emploi.

1er octobre 2021

Nathan Battams

La pandémie de COVID-19 a mis en relief l’importance de la prestation de soins pour les familles, les collectivités et la société, ainsi que les nombreuses répercussions sur la vie des aidants que peut avoir une charge de soins auprès de personnes souffrant de maladies chroniques, d’incapacités physiques ou mentales, ou présentant des besoins liés au vieillissement. En tant qu’économiste familiale et à titre de codirectrice du Programme de recherche sur les politiques et les pratiques relatives au vieillissement (RAPP) – un centre de recherche situé sur le campus de l’Université de l’Alberta qui favorise les partenariats intersectoriels en vue de soutenir le bien-être des aînés et des aidants familiaux et extrafamiliaux –, Janet Fast étudie ces éléments complexes depuis plus de vingt ans.

Le RAPP est né d’une discussion entre Mme Fast et sa codirectrice, Norah Keating, Ph. D., gérontologue familiale, au sujet des coûts que représentent les soins familiaux. Elles ont depuis collaboré avec des chercheurs canadiens et internationaux, des étudiants diplômés ainsi que divers partenaires en matière de politiques et de pratiques, afin de devenir des chefs de file de la recherche transdisciplinaire novatrice et applicable qui établit des ponts entre la recherche, les politiques et les pratiques.

Reconceptualiser et mieux comprendre la prestation de soins

« Une grande partie de notre travail a porté sur la prestation de soins familiaux et la manière dont elle peut affecter le bien-être des aidants au sens large, notamment leur santé, leurs relations, leur travail et leurs finances », explique Mme Fast. Au fil des ans, le RAPP a mené de nombreux projets novateurs de recherche et de mobilisation des connaissances qui ont permis d’élargir et de nuancer notre compréhension du vieillissement, des soins et de leurs répercussions sur les familles, les milieux de travail et la société.

Mmes Keating et Fast ainsi que leurs collègues ont revisité le concept de prestation de soins, en apportant une perspective à la recherche sur la prestation de soins qui tient compte du « parcours de vie ». L’expérience des gens en la matière est diversifiée et évolue au fil du temps, mais la plupart des données et des recherches ne fournissent qu’un portrait ponctuel de la prestation de soins à un moment circonscrit. En 2012, 28 % des répondants à l’Enquête sociale générale (ESG) de Statistique Canada disaient avoir fourni des soins au cours de la dernière année, alors que près de la moitié (46 %) de l’ensemble des Canadiens affirmaient avoir prodigué des soins à un moment ou l’autre de leur vie1. Ces données donnent à penser que la prestation de soins familiaux est beaucoup plus courante que ce à quoi nous pourrions nous attendre.

Ils ont commencé par créer des trajectoires hypothétiques de soins familiaux reposant sur des éléments centraux de « soins en tant qu’action » et de « soins en tant que relations » pour illustrer la diversité des modèles de soins au cours de la vie2. Ils ont ensuite analysé les données de l’ESG de 2012, en examinant les antécédents de soins de près de 3 300 personnes âgées, afin de déterminer cinq modèles distincts, ou trajectoires de soins, sur toute la durée de la vie, en fonction de l’âge lors du premier épisode de soins, du nombre d’épisodes de soins, de la durée totale des épisodes de soins et des années de chevauchement entre ceux-ci3. Une analyse plus approfondie a en outre permis de décrire ces profils en fonction de l’âge au moment du premier épisode de soins, du sexe, de la personne prise en charge et de la durée du premier épisode de soins et des suivants.

Il s’agit là de distinctions importantes à la fois pour notre compréhension ainsi que pour les décideurs, puisque les aidants qui suivent ces diverses trajectoires n’ont pas les mêmes besoins et pourraient bénéficier d’un soutien ciblé, fondé sur des données probantes et adapté à leur situation. « Par exemple, une personne qui commencerait à prodiguer des soins à un parent ou à un conjoint au début de la soixantaine – soit à un âge avancé – pourrait avoir besoin d’accéder aux prestations du RPC avant d’atteindre l’âge de la retraite, ce que faciliteraient des politiques en matière de transition vers une retraite anticipée » [traduction], explique Mme Fast. « Ou encore, note-t-elle, une personne ayant commencé à prodiguer des soins à de proches parents alors qu’elle était encore jeune et qui veille sur eux depuis de nombreuses années aura peut-être dû reporter des études postsecondaires ou y renoncer afin d’être en mesure de prodiguer de tels soins. Ces “aidants de carrière”, c’est-à-dire les aidants qui ont une trajectoire de soins durable, pourraient avoir besoin d’une formation professionnelle, d’aide en matière d’éducation ou de soutien à l’emploi afin d’entrer ou de demeurer sur le marché du travail, ou encore d’une allocation pour aidants ou d’une autre mesure de soutien du revenu qui reconnaît et honore leur travail de soins » (lisez l’article en libre accès [en anglais seulement] ou la Recherche en bref sur cette étude pour en apprendre davantage au sujet des trajectoires de soins). [traduction]

Visionnez des entretiens avec des aidants suivant cinq trajectoires de soins différentes (vidéos du RAPP) :

Les répercussions de la prestation de soins sur le travail

Bien que les aidants soient de tous âges, la plupart sont en âge de travailler (19 à 70 ans) – 5,6 millions d’entre eux – et ils sont nombreux à travailler à temps plein4. Selon Mme Fast, il est primordial que les employeurs fassent preuve de flexibilité envers les aidants et qu’ils sachent s’adapter. Dans le cadre d’un sondage mené aux fins d’un rapport du RAPP sur les besoins des aidants en emploi et des employeurs, Mme Fast notait que de nombreux employeurs considéraient l’équilibre travail-vie personnelle de leurs employés comme une priorité organisationnelle. Toutefois, la majorité d’entre eux ont précisé que le soutien aux employés ayant des responsabilités d’aidant n’était pas une grande priorité, voire ne figurait pas du tout sur leur liste de priorités.

« D’autres employeurs ont dit “[traiter] la question au cas par cas”, ajoute Mme Fast, bien que “en tant qu’entreprise, cela ne fait pas partie de [leurs] priorités.” Mais puisqu’environ le tiers de la main-d’œuvre canadienne dit avoir des responsabilités familiales, c’est un problème qui touche l’ensemble des employeurs. » [traduction] Un constat similaire a été observé dans le cadre d’un sondage Harris réalisé en mai 2021 auprès de décideurs canadiens en matière d’embauche, dans lequel moins du quart (23 %) disaient que l’une des plus importantes priorités de leur entreprise était de mettre à jour les programmes visant à accommoder les employés ayant des responsabilités d’aidants5.

En négligeant les aidants en emploi, de nombreux employeurs sont perdants, affirme Mme Fast, car l’expérience de ceux-ci leur confère souvent des atouts uniques. « Ce que beaucoup d’employeurs ne semblent pas réaliser, c’est que la prestation de soins amène les aidants à développer un grand nombre de compétences fort utiles à leur travail. Ils apprennent à faire preuve d’empathie, de patience et de débrouillardise, à mieux gérer leur temps, à défendre des intérêts, en plus de développer des aptitudes marquées pour la résolution de problème et la gestion de ceux-ci – autant de compétences hautement profitables et applicables – mais on ne leur donne pas toujours la chance d’en faire la démonstration.

Le partenariat intersectoriel aide à harmoniser les besoins des aidants en emploi et des employeurs

Selon Mme Fast, les aidants ayant quitté le marché du travail pour fournir des soins font malheureusement face à un « double défi » lorsqu’ils veulent ou doivent réintégrer le marché du travail une fois leur charge de soins terminée, plusieurs d’entre eux étant également confrontés à des pratiques d’embauche et à des cultures organisationnelles discriminatoires envers les personnes plus âgées.

Le RAPP s’est récemment associé à MyMatchWork.com, une plateforme infonuagique révolutionnaire qui offre de l’aide sur mesure, dont les organismes à but non lucratif peuvent notamment faire usage pour permettre aux demandeurs d’emploi d’accéder à un travail intéressant. Initialement conçu avec un éventail de demandeurs d’emploi marginalisés, notamment des personnes handicapées, des adolescentes enceintes ou qui ont des enfants et de nouveaux arrivants au Canada, ce projet élargit le champ d’action de MyMatchWork.com afin d’inclure les aidants familiaux et extrafamiliaux. Le RAPP fournit des données de recherche sur les défis auxquels sont confrontés les aidants en emploi et les possibilités qui s’offrent à eux, en plus de collaborer avec MyMatchWork.com en vue de peaufiner davantage sa plateforme, qui est financée par AGE-WELL NCE.

Comme l’explique Mme Fast, tout le monde y gagne : les aidants à la recherche d’un emploi sont mis en relation avec des employeurs conscients de leur situation et prêts à s’y adapter; les recherches du RAPP sont mobilisées et utilisées dans le cadre d’innovations concrètes afin de favoriser le bien-être des aidants familiaux et extrafamiliaux; et l’initiative aide MyMatchWork.com à poursuivre le développement de sa plateforme unique, grâce à des données et à des informations fondées sur des données probantes lui permettant de renforcer son mode d’apprentissage automatique.

Ce type de collaboration est l’un des aspects que préfère Mme Fast dans son travail : « Il fait partie intégrante de nos travaux de recherche et est au cœur de nos activités, car il nous permet, à nous et à nos partenaires de diverses disciplines et de divers secteurs, de mettre à profit nos forces et nos connaissances collectives pour résoudre des problèmes complexes et faire des choses que nous ne pourrions pas faire autrement. La volonté de collaborer et de mieux comprendre d’où viennent les gens est fascinante! Bien que je ne puisse encore dire de façon précise à quoi ressemblera le produit final, l’esprit de collaboration qui nous anime nous y conduira. »

Consultez le site Web du RAPP (en anglais seulement)

Apprenez-en davantage au sujet des familles et de la prestation de soins

Nathan Battams est responsable de la mobilisation des connaissances au sein de l’Institut Vanier de la famille.


Notes

  1. Les données de l’ESG de 2012 sur la proportion de répondants ayant fourni des soins au cours de leur vie ne sont pas accessibles au public. Lien : https://bit.ly/2Y7y2KE
  2. KEATING, N., et autres, « Life Course Trajectories of Family Care » dans International Journal of Care and Caring, 2019, vol. 3, no 2, p. 147-163. Lien : https://bit.ly/2XYMWCT
  3. FAST, J., et autres, « Trajectories of Family Care Over the Lifecourse: Evidence from Canada » dans Ageing & Society, 2020, vol. 41, no 5, p. 1145-1162. Lien : https://bit.ly/3A44UkN
  4. FAST, J., et autres, Combining Care Work and Paid Work: Is It Sustainable?, 2014. Lien : https://bit.ly/3CWxFS1
  5. HARRIS POLL, Survey: Employees Want Help Balancing Caregiving Responsibilities, But Companies Say They Don’t Have the Resources, 12 mai 2021. Lien : https://bit.ly/3lSh0Ir
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