Portrait des familles au Canada : Mesure des particularités familiales dans le recensement

Nora Galbraith de Statistique Canada nous parle de la publication prochaine du Recensement de 2021 sur les familles au Canada.

30 juin 2022

Nathan Battams

Le 13 juillet 2022, Statistique Canada publiera le nouveau contenu du Recensement de 2021 en lien avec les familles, les ménages et la situation des particuliers.

En prévision de la publication de ce nouveau portrait du « paysage familial » au pays, Nathan Battams de l’Institut Vanier s’est entretenu avec Nora Galbraith, analyste principale au Centre de démographie de Statistique Canada, afin de discuter de la « mesure des familles » dans le recensement, de ce que celui-ci nous apprend réellement au sujet des familles ainsi que des nouveautés à paraître dans cette imminente diffusion de données.


Comment Statistique Canada s’y prend-il pour compter les familles et mesurer leurs particularités, et quelle influence cela peut-il avoir sur notre façon de concevoir les familles?

Si l’on fait abstraction pour l’instant du concept de famille, le principal objectif du recensement est d’obtenir le dénombrement le plus précis possible de la population. Pour ce faire, des procédures sont mises en place afin de veiller à ce que chaque personne soit comptée une fois – et seulement une fois – et qu’elle soit comptabilisée comme résidant au sein d’un seul logement et d’un seul ménage1. L’une des façons d’y parvenir est de mettre l’accent sur le concept du lieu de résidence habituel, chaque personne étant comptée en fonction de ce que l’on considère être sa résidence « principale ».

Eu égard à ce concept du lieu de résidence, le questionnaire du recensement présente certaines lignes directrices afin de déterminer où se trouve le domicile principal d’une personne. Par exemple, les membres d’une famille qui, pour des raisons professionnelles, résident à un endroit différent pendant une certaine partie de l’année, doivent être inclus dans le foyer familial, quel que soit le temps passé dans cette résidence secondaire.

Par ailleurs, les enfants qui partagent leur temps tout au long de l’année entre les domiciles de deux parents ou tuteurs doivent être inscrits au domicile où ils vivent la plupart du temps. S’ils passent autant de temps chez l’un que l’autre de leurs parents ou tuteurs, ils doivent être inscrits dans le foyer où ils résidaient le jour du recensement. Les étudiants qui retournent périodiquement au domicile de leurs parents doivent pour leur part être inscrits uniquement à ce domicile, même s’ils y passent bien moins que la moitié de l’année2.

Une fois que chaque personne a été comptabilisée à son lieu de résidence habituel, les familles sont constituées en fonction des renseignements fournis dans le recensement pour un ménage donné, à savoir les personnes qui y vivent et les relations qu’elles entretiennent entre elles.

La publication du recensement portant sur les familles fait appel à deux principaux concepts, à savoir les familles de recensement et les familles économiques.

Une famille de recensement est constituée d’un couple marié ou en union libre – avec ou sans enfants – ou d’un parent au sein d’une famille monoparentale (que l’on qualifiait auparavant de parent seul). Les enfants d’une famille de recensement peuvent être des enfants biologiques ou adoptés, quel que soit leur âge ou leur état matrimonial, du moment qu’ils habitent au sein du même logement que leur(s) parent(s), sans que leur propre conjoint marié, conjoint de fait ou enfant(s) ne vivent avec eux. Par définition, toute personne faisant partie d’une famille de recensement fait également partie d’une famille économique.

Une famille économique désigne un groupe de deux personnes ou plus habitant dans le même logement et apparentées par le sang, le mariage, l’union libre, l’adoption ou une relation de famille d’accueil. À titre d’exemple, une personne vivant avec sa tante, son oncle ou son cousin formerait une famille économique. Une telle perspective peut s’avérer utile lorsque l’on s’intéresse aux indicateurs de logement ou de revenu des ménages. Le concept de la famille économique est généralement utilisé dans les travaux de recherche portant sur le revenu et le logement.

Le concept de lieu de résidence habituel s’avère important pour ceux et celles qui utilisent les données de recensement en vue d’étudier divers thèmes familiaux. Nous savons que de plus en plus de gens et de familles résident à plus d’une adresse au cours de l’année, que ce soit pour le travail, l’école, en raison d’une entente de garde partagée ou pour d’autres raisons. Si les données du recensement ne parviennent pas toujours à refléter les familles, les ménages et les caractéristiques familiales dans toute leur complexité et fluidité, elles constituent tout de même une base rigoureuse et fiable permettant d’analyser les tendances suivant un découpage géographique détaillé et au sujet de sous-populations particulières.

En quoi le concept de famille dans le recensement a-t-il évolué au fil des ans et qu’y aura-t-il de nouveau dans la prochaine publication?

Parmi l’ensemble des thèmes abordés par le recensement, les concepts liés aux familles et aux ménages sont probablement ceux qui ont le plus évolué au fil du temps, parallèlement aux changements sociétaux. Si l’on remonte aux premières décennies du recensement, avant 1941, le concept de « famille de recensement » était pratiquement inexistant et l’on ne faisait guère de distinction entre les ménages et les cellules familiales.

Ce n’est qu’à partir de 1981 qu’il est devenu possible de dénombrer les couples en union libre. Le Recensement de 2001 a également marqué un tournant majeur pour ce qui est du thème des familles : on y dénombrait pour la première fois les couples de même sexe, et le concept de famille de recensement s’est vu élargi afin d’inclure, entre autres changements, les familles sans génération intermédiaire au sein desquelles cohabitent des petits-enfants et des grands-parents, en l’absence des parents.

Les divers concepts sont en outre appelés à évoluer au vu des changements législatifs. Par exemple, en 2006, le recensement a commencé à répertorier les couples mariés de même sexe après que fut légalisé le mariage entre personnes de même sexe l’année précédente. Plus récemment, en 2011, les enfants en famille d’accueil ainsi que les familles recomposées ont été ajoutés aux types de familles et aux caractéristiques familiales pouvant être comptabilisés dans le recensement.

Cette évolution se poursuit avec la publication à venir du Recensement de 2021, qui présentera de nouveaux renseignements sur le statut de diversité de genre d’un couple3, 4.

Avec l’inclusion de la nouvelle variable du genre, le Recensement de 2021 rendra désormais compte des personnes transgenres et non binaires. En quoi cela nous permettra-t-il d’approfondir notre compréhension des familles, de la vie de famille et du bien-être des familles au Canada?

La variable du genre étant désormais prise en compte, la publication à venir du recensement sur les familles comportera pour la première fois des renseignements sur le statut de diversité de genre d’un couple. Il s’agit là d’une nouvelle avancée en regard de notre capacité à comprendre les familles canadiennes dans toute leur diversité et à en brosser un portrait représentatif.

Nous espérons que de tels renseignements, au même titre que la publication précédente sur la diversité des genres, permettront aux familles de mieux se reconnaître dans les données du recensement. Les renseignements publiés le 13 juillet constitueront un point de départ pour nous aider à mieux comprendre les couples comportant des personnes transgenres ou non binaires, principalement, mais également les couples de même genre et de genres différents5.

Concrètement, comment Statistique Canada s’y prend-il pour changer la façon de mesurer les particularités familiales? Pourquoi celle-ci change-t-elle (ou non), et quels sont les effets de ces changements?

Statistique Canada s’efforce de fournir des renseignements sur les familles qui sont à la fois actuels et pertinents. Pour ce faire, il est important de mesurer les formes émergentes de familles et de ménages. L’organisme s’engage donc dans des consultations continues auprès de divers intervenants, d’utilisateurs des données et de la population canadienne, afin de combler les lacunes en matière d’information et de s’adapter aux changements législatifs. Dans le cadre du recensement de la population, toute modification potentielle du questionnaire est élaborée en coordination avec de tels engagements continus et fait l’objet de tests approfondis à la fois sur les plans qualitatif et quantitatif.

Puisque l’un des principaux avantages du recensement est sa longue série chronologique, tout est question d’équilibre. Bien que la comparabilité historique et la continuité des concepts s’avèrent importantes, certains concepts sont parallèlement voués à évoluer et d’autres doivent être élargis ou révisés afin d’être plus inclusifs et pertinents par rapport aux réalités d’aujourd’hui.

Comme je le disais un peu plus tôt, une expression ne saurait à elle seule définir adéquatement l’ensemble des familles et des caractéristiques familiales en raison de l’évolution continue de la société et de la complexité croissante des familles et des modes de vie. Étant conscient de tels changements sociétaux et pour donner suite aux commentaires de certains utilisateurs, Statistique Canada étudie actuellement la meilleure façon de comptabiliser les personnes ayant plusieurs lieux de résidence, à l’aide de divers outils statistiques, comme le recensement, des sondages et d’autres méthodes de collecte de données.

Au cours des prochains mois, Statistique Canada consultera les Canadiens, divers intervenants ainsi que ses partenaires sur cette question et évaluera la possibilité de tester un tel contenu sur les résidences multiples en vue de la préparation du Recensement de 2026.

De façon générale, qu’est-ce que le recensement nous apprend sur les familles et la vie de famille comparativement à d’autres sources de données, comme l’Enquête sociale générale (ESG)?

Les cycles de l’Enquête sociale générale et du Recensement de la population sur les familles ont des objectifs fort différents et collectent des données différentes, ce qui leur confère des forces qui sont elles aussi différentes. Dans le recensement de la population, le contenu relatif aux familles ne représente qu’un des nombreux thèmes qu’il doit couvrir, notamment les revenus, le logement, la diversité linguistique, l’identité autochtone, la citoyenneté et l’immigration, la composition ethnoculturelle et religieuse, la mobilité et la migration. Le recensement est souvent considéré comme un « portrait » de la population à un moment précis, et les familles y sont comptabilisées en fonction de leur lieu de résidence habituel, comme mentionné précédemment.

En revanche, le cycle de l’ESG sur la famille est un examen approfondi et ciblé des caractéristiques familiales des adultes, notamment de leurs antécédents conjugaux et de fécondité. L’ESG s’avère beaucoup plus détaillée et met en relief la « complexité qui se cache » derrière certaines situations familiales. Pensons notamment aux personnes qui entretiennent des relations avec d’autres personnes sans pour autant cohabiter sous le même toit (à savoir les couples qui « vivent chacun chez soi » [VCCS]) ou encore aux diverses ententes parentales et modalités décisionnelles mises en place entre ex-conjoints ou ex-partenaires. En d’autres termes, elle a cette particularité d’explorer les relations familiales au-delà du cadre du foyer familial.

Contrairement au recensement, l’ESG permet également d’examiner les liens intergénérationnels, en colligeant des informations sur les origines familiales et les caractéristiques des parents. Enfin, elle nous permet de prendre le pouls des valeurs et de la vision des gens grâce à des questions sur leurs intentions en matière de fécondité et de mariage éventuel.

Comparativement à l’ESG, qui est une enquête par sondage couvrant les 10 provinces, le recensement permet généralement d’étudier plus en détail différents groupes de population particuliers (p. ex. les régions géographiques moins densément peuplées, ou encore les personnes racisées ou d’origine autochtone), ce qui n’est pas toujours possible avec des données d’enquête basées sur un échantillon de la population. Pour ce qui est des familles et des caractéristiques familiales, le recensement permet de mettre en relief certaines situations moins courantes, comme les familles sans génération intermédiaire, les enfants placés en famille d’accueil ou encore la cohabitation de familles multiples au sein d’un même ménage6.

Un autre avantage que procure le recensement est qu’il est réalisé depuis fort longtemps et qu’il fournit un nombre incalculable de données. Pour la plupart des concepts de base, comme l’état matrimonial, les personnes vivant seules, les ménages privés, etc., il nous est possible de remonter près d’un siècle en arrière afin d’examiner les tendances à long terme. Or, cela s’avère plutôt utile lorsque l’on apprend, par exemple, que la cohabitation de jeunes adultes avec leur(s) parent(s) ou d’enfants avec leur père au sein d’un ménage monoparental ne sont en rien des phénomènes nouveaux.

À mon sens, le recensement et l’ESG sur les familles sont comme des sœurs, chacune apportant des éléments différents qui se conjuguent pour nous permettre de mieux comprendre les familles ainsi que la vie de famille au Canada.

Nora Galbraith est analyste principale au Centre de démographie de Statistique Canada.

Nathan Battams est spécialiste en mobilisation des connaissances à l’Institut Vanier de la famille.


Notes

  1. Il s’agit ici de deux termes distincts : le logement fait référence à la nature structurelle de l’abri (p. ex. une maison jumelée); le ménage fait quant à lui spécifiquement référence au réseau de relations des personnes qui vivent dans le logement (p. ex. un ménage multigénérationnel).
  2. L’annexe du Guide de référence sur les familles, les ménages et l’état matrimonial du Recensement de la population de 2021 présente d’autres exemples de situations pertinentes.
  3. Il sera désormais possible d’accéder aux données à la fois sur les couples de même sexe et les couples de même genre, bien que le genre demeurera la variable par défaut utilisée dans les analyses et les tableaux de données standards.
  4. Pour obtenir plus d’information sur les tendances historiques et leur analyse, consultez le Guide de référence sur les familles, les ménages et l’état matrimonial du Recensement de la population de 2021. Les tableaux 2 et 3, plus spécifiquement, donnent un aperçu complet de la façon dont les concepts liés aux familles de recensement ont évolué au fil du temps.
  5. Pour obtenir plus de détails sur ces nouveaux concepts, consultez ce feuillet de renseignements.
  6. Le recensement constitue un élément important du Plan d’action sur les données désagrégées de Statistique Canada, qui oriente la production de renseignements statistiques détaillés sur les expériences de groupes de population particuliers, notamment les femmes, les peuples autochtones, les populations racisées et les personnes ayant une incapacité.
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