Entretien avec un nouveau père au sujet de son parcours vers la paternité pendant le confinement.
Nathan Battams
18 juin 2021
Devenir un nouveau père, quel qu’en soit le moment, est une expérience qui transforme la vie et qui est empreinte d’excitation et de joie, de peur et d’anxiété, de possibilités et d’éventualités, de projets établis et modifiés, ainsi que de rêves et d’aspirations.
En raison de la pandémie de COVID-19 et des mesures de santé publique qui ont été instaurées en vue d’assurer la sécurité de la population, les familles ont dû composer avec des incertitudes complexes et appelées à évoluer, tandis que plusieurs nouveaux pères se sont vus « confinés » avec leur partenaire, bien souvent isolés de leurs amis, de leurs frères et sœurs, de leurs parents et beaux-parents, comme des autres nouveaux et futurs pères. Or, il n’existe aucun livre auquel se référer pour apprendre à être un nouveau ou un futur père pendant une pandémie mondiale. Pourtant, de nombreux pères se sont retrouvés dans cette situation, et ils ont dû s’adapter et s’ajuster, s’accommoder et se recadrer, planifier et revisiter leurs projets tout au long de la pandémie.
Ce cheminement unique vers la paternité partage de nombreux éléments avec le parcours typique emprunté par la majorité des nouveaux pères… et même plus! J’ai rencontré James, 36 ans, qui est devenu un nouveau papa en mai 2020, tout juste après le sommet de la première vague de COVID-19 et le prolongement des mesures initiales de confinement à domicile. Depuis, il travaille de la maison. Je vous présente son histoire derrière les statistiques…
James, plus d’un an s’est écoulé depuis le début de la pandémie et la naissance de votre fille. Comment avez-vous célébré le 1er anniversaire de Stacey avec votre famille?
Comme ce fut le cas pour de nombreuses situations et activités tout au long de la pandémie, pour l’anniversaire de Stacey, nous avons essayé de planifier une façon amusante et sécuritaire de célébrer avec un petit groupe d’amis et des membres de la famille, mais les choses ont rapidement changé lorsque les récentes mesures de confinement à domicile nous ont été imposées. Nous avons donc organisé une petite fête à distance sur notre pelouse devant la maison, avec mes parents et quelques voisins. Bien que cela n’ait pu se faire dans les conditions idéales, nous sommes parvenus à en faire un événement spécial, car il n’était pas question de laisser les circonstances porter ombrage à cette importante journée.
Nous avons de la chance de vivre dans un petit cul-de-sac avec de merveilleux voisins, ce qui, d’une certaine façon, nous a donné l’impression de faire partie d’une bulle élargie. Tout le monde est toujours à l’extérieur pour jardiner, promener son chien ou jouer dans la rue, ce qui nous a permis de trouver une façon de socialiser en toute sécurité et dans le respect des règles. L’esprit de communauté de notre rue – et de notre quartier, de façon plus générale – nous a sauvé la vie, en toute honnêteté. Cela peut paraître bizarre, mais depuis le début de la pandémie, je me sens plus proche des gens du quartier, et je perçois un certain élan de solidarité et de soutien plus ou moins conscient entre les gens qui m’entourent.
À quel moment la pandémie est-elle passée d’un simple fait divers à une situation vous touchant personnellement, vous et votre famille?
Une fête prénatale avait été organisée à la fin du mois de février 2020 et je crois bien que ce fut le dernier événement « normal » que nous avons vécu avant que la tempête COVID ne fasse ses ravages. Déjà à ce moment-là, je me souviens que certaines personnes ne pouvaient pas venir, y compris la famille de Kelly qui réside à Sault Ste. Marie, parce qu’elles craignaient, pour des raisons de sécurité, de prendre l’avion ou de se rendre dans un aéroport. Mais la fête a tout de même eu lieu, accueillant entre 40 et 50 personnes, – un regroupement qu’on ne pourrait imaginer aujourd’hui. C’est certainement l’un des premiers moments où la pandémie a eu des répercussions sur nos vies, même si cela ne nous semblait pas encore bien réel, car nous ne pouvions à ce moment imaginer à quel point nos vies allaient changer.
C’est lors d’un cours prénatal que nous avons expérimenté les premières manifestations de distanciation physique, au début du mois de mars 2020. Nous y sommes allés un samedi et tout était normal – aucune distanciation n’était de mise. Puis, sans que nous ayons été avisés, nous nous sommes présentés la semaine suivante et un paquet de mesures de sécurité avaient été mises en place, et nous devions tous maintenir une distance les uns des autres.
Parlez-moi de votre expérience vers la paternité pendant la pandémie.
Avant la pandémie, notre plan de naissance était bien organisé, et nous travaillions avec une doula qui était formidable. Elle nous soutenait et était très compétente. Puis soudain, tout a été chamboulé et l’accès à ce type d’accompagnement est devenu chose du passé. J’ai fait de mon mieux pour soutenir ma partenaire. Mais je ne suis pas un professionnel – c’était ma première fois et il était impensable que je puisse lui apporter le même niveau de connaissances et de soutien qu’une doula formée en la matière. Ce fut donc très éprouvant pour quelqu’un qui allait vivre son premier accouchement.
Notre doula nous avait informés que les hôpitaux et les centres de naissance étaient en train de revoir leurs protocoles afin de déterminer combien de personnes pourraient être présentes lors d’un accouchement – et lesquelles. Dans ce contexte, nous avons dû nous adapter afin « d’espérer le meilleur et de prévoir le pire ».
L’incertitude, les spéculations et les changements rapides de protocoles dans les hôpitaux et au sujet des accouchements au cours du mois précédant la date prévue pour l’accouchement de Kelly ont été extrêmement difficiles pour nous. Nous avons dû nous préparer à l’éventualité que notre doula ne puisse être présente dans la salle d’accouchement et que je sois également soumis à des restrictions. L’idée que je ne puisse pas être là pour soutenir ma partenaire pendant l’accouchement ni pour assister à la naissance de Stacey me brisait le cœur et m’était fort difficile à accepter. Notre doula n’a finalement pas été autorisée à assister à l’accouchement, et pour ma part, je n’ai pu me joindre à Kelly qu’une fois le travail commencé.
Lorsque Kelly a perdu ses eaux et que le travail a commencé, nous ne pouvions toujours pas nous rendre à l’hôpital; il fallait attendre que son col soit d’abord suffisamment dilaté en raison des protocoles liés à la pandémie. Heureusement, nous demeurons tout près de l’hôpital local. Si bien que le moment venu, nous avons appelé, et on nous a dit que si elle était suffisamment dilatée, je devais la conduire là-bas, l’y déposer et rentrer à la maison.
Je suis revenu à la maison, cherchant nerveusement à m’assurer que nous étions aussi bien préparés que possible, compte tenu de l’état actuel de la situation. Nous en étions au plus fort de la première vague, et nous en savions encore bien peu sur la maladie.
Nous nous sommes préparés à des scénarios difficiles, au cas notamment où elle devrait subir une césarienne, ce qui nous aurait essentiellement obligés à demeurer à l’hôpital pendant trois jours, sans pouvoir accéder à de la nourriture extérieure ni même à d’autres personnes. Nous devions prévoir amplement de nourriture pour ne pas avoir à manger la nourriture servie à l’hôpital.
Lorsque son travail a commencé, je me suis précipité à l’hôpital, en me stationnant illégalement (et ce n’est pas faute d’avoir essayé de faire autrement)! Mon adrénaline était à son comble. Le personnel a été tellement professionnel, si merveilleux! Il y avait une salle d’accouchement privée et un espace privé où Kelly a pu se reposer. Vingt-quatre heures se sont écoulées entre le moment où nous sommes entrés et sortis de l’hôpital – l’accouchement s’est déroulé plutôt rapidement.
Malheureusement, en raison des protocoles, mes parents n’ont pu tenir Stacey dans leurs bras que lorsqu’elle a atteint l’âge de deux mois, ce qui fut une grande déception pour tout le monde. Les parents de Kelly ont quant à eux dû s’adapter au fait qu’ils habitent loin de nous – ils résident dans le Nord et ils avaient l’impression d’être à l’autre bout du monde!
Comment aviez-vous prévu faire la transition avec votre travail?
Je n’ai pris aucun congé parental officiel. J’ai plutôt pris un mois de vacances, ce qui, en grande partie, a été un autre des effets secondaires de la pandémie. D’un côté, je me trouvais bien chanceux de travailler à la maison et de passer plus de temps avec ma famille. Mais on en est arrivé à un point où l’on se demandait si cela valait vraiment la peine de prendre deux mois de congé, comme nous avions prévu de faire au début : nous espérions partir ensemble en autocaravane et voir du pays. Cela devait se faire au mois d’août ou de septembre de cette année, car Kelly a pris un congé de maternité prolongé. Mais nous avons jugé qu’il n’était pas très logique financièrement de prendre un si long congé tout en restant sur place, alors que nous avons pu tirer le meilleur parti du travail à domicile et trouver un bon équilibre entre notre travail et notre vie personnelle. C’est somme toute étrange, car j’avais attendu ce congé parental avec impatience depuis le jour où j’ai su qu’elle était enceinte. Lorsque nous avons su que Stacey arriverait dans notre vie, nous étions tous les deux impatients de partir pour cette aventure, car nous pensions que c’était le moment idéal pour voyager avec un enfant en bas âge. Ce fut l’une des nombreuses choses qui ont été chamboulées et nous avons dû nous y faire.
Quel genre de choses avez-vous faites, vous et votre famille, pour assurer votre bien-être?
De mon côté, je m’adonne à de longues promenades avec Stacey et notre chien, ainsi qu’avec un voisin et son chien. Pour le bien-être de notre famille, nous allons chaque week-end à la campagne marcher dans des sentiers, à la fois les samedis et les dimanches. L’une des activités les plus marquantes pendant la pandémie aura été d’explorer, pour ainsi dire, notre propre cour arrière, et de découvrir tous les sentiers ornant la ceinture verte de la région. C’est chaque fois un moment paisible pour réfléchir et reprendre mon souffle – ce sont les rares fois où je ne porte pas d’écouteurs, comme je le fais habituellement. Ces moments ont été importants.
Le sentiment d’appartenance à la communauté est à la fois très fort et engageant par ici, ce qui nous est en somme réconfortant. Le fait de passer du temps à la pataugeoire, où nous voyons d’autres familles et enfants, nous a donné l’occasion de rencontrer des gens ainsi que leurs enfants. Stacey a pu socialiser avec d’autres enfants, car nous sommes en contact avec plusieurs d’entre eux dans notre rue. Il y a toujours des enfants avec qui jouer au parc, ce qui est important pour elle, car cela lui permet de développer ses aptitudes sociales et de participer à des activités.
Quel soulagement ce fut que de recevoir nos vaccins et de ressentir une certaine sécurité. Il est tellement agréable de partager ce sentiment collectif avec tous ces gens qui enfin se sentent mieux.
Quels genres d’espoirs ou de craintes avez-vous lorsque vous pensez à l’avenir?
De façon générale, j’ai parfois l’impression d’être devenu plutôt insensible à la façon dont les choses se sont déroulées au cours des 18 derniers mois. Même si je commence à me faire un peu plus optimiste, quoique prudent, en pensant à l’arrivée des vaccins et au fait de recevoir les nôtres, au nombre de cas qui diminue, etc., je ne me fais pas trop d’illusions. Je pense qu’il faudra beaucoup de temps avant de pouvoir retrouver une certaine « normalité ».
La dernière période de confinement dont on vient tout juste de sortir a certainement été la plus difficile en ce qui me concerne : je me suis senti amèrement découragé et vaincu. Je pense que c’est en partie parce que les choses ont été quelque peu différentes pendant un certain temps. Pour un moment, nous pouvions par exemple suivre des cours de natation en personne, ce qui était très amusant pour Stacey et moi. Mais les dernières mesures de confinement ont mis un terme à tout cela. Ce fut difficile pour nous tous, mais nous tentons de regarder la situation dans son ensemble : nous avons malgré tout eu beaucoup de chance.
Quelles leçons en tirez-vous, et lorsque vous envisagez l’avenir, y a-t-il des changements que vous aimeriez conserver?
Côté travail, nous sommes vraiment reconnaissants d’avoir été en mesure de travailler de la maison et de vivre la transition sans heurts. En tant que nouveau père, je serais en faveur d’un modèle de travail hybride et j’aurais du mal à accepter de travailler moins de trois ou quatre jours par semaine de la maison. J’ai l’impression que, d’une certaine manière, la pandémie a accéléré l’inévitable en ce qui concerne le travail, et je suis heureux que ce changement se produise pendant que nous poursuivons notre carrière. J’ai trouvé un bon équilibre et il m’est difficile d’imaginer ne pas être ici afin de passer du temps avec ma famille et de la soutenir.
Je crois aussi avoir compris l’importance de mettre l’accent sur les choses que l’on peut contrôler dans notre vie, car il y a tellement de choses qui sont hors de notre contrôle, en particulier la façon dont les choses peuvent évoluer avec le virus.
J’aime le fait que nous nous soyons beaucoup rapprochés de notre communauté. Bien que nous ayons aménagé ici il y a près de trois ans, c’est au cours de la dernière année et demie que mes liens avec celle-ci se sont le plus développés. Depuis peu, j’ai l’impression de connaître tout le monde ici, y compris les familles qui ont de jeunes enfants et des chiens, et bien d’autres personnes.
Si vous pouviez vous adresser au James d’avant – avant qu’il devienne papa ou avant la pandémie – que lui diriez-vous?
À celui qui n’était pas encore papa, je dirais : « Prépare-toi à vivre l’expérience la plus enrichissante de ta vie. Ce sera très difficile, mais ce que tu en retireras dépassera de très loin les défis qui t’attendent. » Je lui dirais « d’exploiter le pouvoir de la patience et de vivre le moment présent », et de « commencer à y travailler dès maintenant ». Je n’étais pas quelqu’un de patient avant la pandémie. L’expérience m’a appris à gérer mes attentes. Avant, je m’énervais si je ne pouvais pas faire une chose ou une autre, ou y participer. J’étais une personne fort occupée, active et sociale, et cela a changé à tous égards, mais j’ai appris l’importance d’être patient et de me fixer des attentes raisonnables.
Nathan Battams, Mobilisation et application des connaissances, Institut Vanier de la famille
Note : Cet entretien avec un nouveau père a été révisé afin d’atteindre une longueur et une clarté optimales ainsi que pour protéger la vie privée de l’interlocuteur.