La vie en ligne des jeunes Canadiens

Matthew Johnson

La Semaine éducation médias se tiendra du 2 au 6 novembre. Il s’agit d’un événement soulignant l’importance de l’enseignement des médias et de la littératie numérique aux enfants et aux adolescents, afin que leurs interactions avec les médias soient positives et enrichissantes. Dans le blogue cette semaine, Matthew Johnson de HabiloMédias s’intéresse au comportement des jeunes en ligne et se questionne sur le rôle des parents dans la façon dont leurs enfants abordent le Web.


 

Natifs du numérique; technophiles; narcissiques; innovateurs; méchants. Beaucoup d’hypothèses sont lancées à propos des enfants en ligne. Toutefois, les étiquettes utilisées sont souvent trompeuses et déphasées par rapport à l’usage que font vraiment les jeunes des technologies en réseau. Dans le but de mieux comprendre les pratiques en ligne des enfants et des jeunes Canadiens, l’initiative HabiloMédias (un organisme canadien sans but lucratif d’éducation aux médias et de littératie numérique) a mené un vaste sondage national auprès d’élèves de la 4e à la 11e année* dans le cadre du projet de recherché Jeunes Canadiens dans un monde branché, dont les premières démarches remontent à l’an 2000.

Huit ans, c’est long quand il s’agit d’Internet. Entre la publication de la phase II de l’étude d’HabiloMédias intitulée Jeunes Canadiens dans un monde branché en 2005, et la réalisation d’un sondage national auprès des élèves pour la phase III en 2013, Internet a connu une énorme transformation : les vidéos en ligne, auparavant lentes et pleines de bogues, sont devenues l’une des activités les plus populaires sur le Web, tandis que le réseautage social est maintenant largement répandu tant chez les adultes que chez les jeunes.

Les expériences vécues en ligne par les jeunes ayant également changé, HabiloMédias a interrogé 5 436 élèves canadiens de la 4e à la 11e année, dans des classes de chaque province et territoire, afin de découvrir la teneur de cette évolution. Le premier rapport issu de ce sondage, La vie en ligne, porte sur ce que les jeunes font en ligne, les sites qu’ils consultent et leurs comportements face à la sécurité en ligne, les règles d’utilisation d’Internet à la maison et la déconnexion de la technologie numérique.

Presque tous les jeunes ont accès à Internet

Personne ne sera surpris d’apprendre que presque tous les jeunes vont en ligne. En fait, 99 % des élèves interrogés ont accès à l’Internet en dehors de l’école grâce à l’utilisation de différents appareils. Le plus gros changement qui s’est produit depuis le dernier sondage réside dans la multiplication des appareils mobiles comme les tablettes, les téléphones intelligents et les lecteurs MP3 optimisés pour le Web, qui fournissent aux jeunes un accès au Web en continu – et souvent sans surveillance.

Le précédent rapport Jeunes Canadiens dans un monde branché, paru en 2005, révélait que la plupart des d’élèves consultaient Internet à partir d’un ordinateur familial à la maison (c’est-à-dire dans le salon ou la cuisine, pour que les parents puissent garder un œil bienveillant sur leurs enfants pendant que ceux-ci naviguaient en ligne). Désormais, les appareils personnels et mobiles en réseau (comme les tablettes et les téléphones intelligents) constituent le principal point d’accès pour bon nombre de ces élèves.

On a constaté que l’accès à Internet grâce à un ordinateur portable et personnel augmentait en fonction de l’âge, alors que l’utilisation d’un ordinateur familial partagé avait chuté. Ainsi, 64 % des élèves de 4e année ont déclaré qu’ils utilisaient un ordinateur familial pour accéder à du contenu en ligne hors de l’école, mais cette proportion chute à 37 % pour les élèves de 11e année. Par contre, les données indiquent que 24 % des élèves de 4e année possèdent un téléphone cellulaire ou un téléphone intelligent, et cette proportion grimpe à 52 % chez les élèves de 7e année et à 85 % parmi les élèves de 11e année.

Par ailleurs, il ne faudra peut-être pas s’étonner de constater que la possession de tels appareils est en corrélation avec le niveau d’aisance de la famille. En effet, la proportion d’élèves très aisés qui possèdent un ordinateur portable est plus élevée comparativement aux élèves moyennement aisés (74 % par rapport à 61 %), et il en va de même pour le cellulaire (49 % par rapport à 41 %), ainsi que pour les consoles de jeux vidéo (45 % par rapport à 38 %).

Les élèves sont non seulement branchés, mais ils restent branchés : plus du tiers de ceux qui possèdent un cellulaire disent dormir avec leur téléphone au cas où ils recevraient des appels ou des messages pendant la nuit. Cette réalité touche autant les filles que les garçons (respectivement 39 % et 37 % de ceux qui possèdent un cellulaire). Cette tendance augmente d’une année à l’autre jusqu’à un peu plus de la moitié des élèves de 11e année (51 %), mais un cinquième des élèves de 4e année disent déjà en faire autant.

Les élèves savent pertinemment qu’ils passent beaucoup de temps « branchés » : 40 % des filles et 31 % des garçons disent s’inquiéter de passer trop de temps en ligne. Lorsqu’ils ont été interrogés sur la façon dont ils se sentiraient si, pendant une semaine, ils ne pouvaient se connecter à Internet sauf pour faire des travaux scolaires, un peu moins de la moitié (49 %) ont affirmé qu’ils seraient bouleversés ou malheureux. Il est intéressant de constater que les élèves anglophones à l’extérieur du Québec ont plus tendance à être bouleversés à cet égard que leurs homologues francophones du Québec (51 % contre 40 %). Toutefois, 46 % de tous les élèves indiquent que cela les laisserait indifférents, et 5 % mentionnent même qu’ils seraient soulagés ou heureux de ne pas pouvoir se connecter à Internet.

Plusieurs élèves essaient de maintenir un équilibre entre leurs activités virtuelles et celles de la vie réelle, et affirment qu’ils choisissent parfois de se déconnecter pour passer plus de temps avec leur famille et des amis (77 %), pour sortir à l’extérieur, jouer à un jeu ou pratiquer un sport (71 %), pour lire un livre (44 %) ou seulement pour profiter d’un moment de solitude (45 %). Seuls 4 % affirment ne jamais se déconnecter pour l’une ou l’autre de ces raisons.

Les jeunes vont sur Internet pour apprendre, jouer et socialiser

Que font les jeunes Canadiens lorsqu’ils sont en ligne? Pour plusieurs, Internet constitue un outil d’apprentissage et de partage de l’information : environ la moitié (49 %) des élèves de tous les niveaux de classe disent s’être connectés pour trouver de l’information sur les nouvelles et l’actualité, et la moitié des élèves de la 7e à la 11e année ont partagé des liens menant à divers articles d’actualité. Toutefois, ils sont relativement peu nombreux à participer à des débats en ligne, c’est-à-dire à publier des commentaires sur un site d’actualités (71 % des élèves de la 7e à la 11e année ne l’ont jamais fait) ou à se joindre à un groupe de militants (65 % de tous les élèves ne l’ont jamais fait).

Les élèves recherchent des renseignements sur des sujets sensibles tels que les questions de santé mentale, la sexualité, la santé physique et les difficultés relationnelles.

Cependant, il n’y a pas que les nouvelles et l’actualité qui intéressent les enfants et les jeunes. Plusieurs déclarent utiliser l’Internet pour trouver de l’information sur la santé et le bien-être, qu’il s’agisse de questions de santé physique (20 % des filles et 16 % des garçons), de santé mentale (14 % des filles et 9 % des garçons) ou de difficultés relationnelles (18 % des filles et 9 % des garçons). La proportion d’élèves qui recourent à Internet comme source d’information augmente progressivement de la 4e à la 11e année.

Par rapport aux élèves plus jeunes, un pourcentage supérieur d’élèves de la 7e à la 11e année recherchent des renseignements sur des sujets sensibles tels que les questions de santé mentale, la sexualité, la santé physique et les difficultés relationnelles. Toutefois, près du quart (22 %) des élèves n’utilisent pas Internet pour trouver de l’information sur ces sujets. Près du tiers des élèves sont déjà allés en ligne pour demander conseil à un spécialiste (30 %) ou à d’autres jeunes (33 %) concernant un problème personnel, mais seul un faible pourcentage d’entre eux le font souvent.

Les deux tiers des élèves disent s’adonner à des jeux en ligne, mais cette activité est beaucoup plus populaire chez les garçons (71 %) que chez les filles (47 %). À la différence d’autres activités en ligne qui ont tendance à augmenter en fonction de l’âge, la proportion d’élèves qui jouent à des jeux en ligne diminue au fil du temps, passant du niveau le plus élevé atteint en 5e année à hauteur de 77 % jusqu’au niveau le plus bas en 10e année, soit 42 %.

Par ailleurs, il n’est pas surprenant de constater que le réseautage social figure également parmi les activités populaires, particulièrement parmi les répondants les plus âgés. La participation accrue aux activités liées au réseautage social est en corrélation avec la documentation sur le développement, selon laquelle les rapports sociaux sont de plus en plus importants au fur et à mesure du passage de l’enfance à l’adolescence. De la 4e à la 11e année, les activités qui consistent à lire sur les sites d’autres personnes passent de 18 à 72 %, publier sur Twitter de 5 à 42 %, suivre des amis ou des membres de la famille sur Twitter de 8 à 39 %, publier sur son propre site de 19 à 50 % et suivre des vedettes sur Twitter de 5 à 32 %. Les filles ont davantage tendance que les garçons à utiliser le réseautage social pour communiquer avec leurs amis ou les membres de leur famille (45 % publient sur leur propre site de réseautage social, comparativement à 36 % des garçons).

Plusieurs parents règlementent l’utilisation que font leurs enfants d’Internet

La présence parentale demeure un facteur à considérer dans la vie en ligne des enfants, puisque 84 % des élèves interrogés disent devoir se conformer à des règles à la maison relativement à leurs activités en ligne. Les règles les plus courantes concernent les activités suivantes : publier des renseignements personnels en ligne (55 %), discuter avec des étrangers en ligne ou sur un cellulaire (52 %), éviter certains sites (48 %), traiter les gens avec respect en ligne (47 %) et rencontrer en personne quelqu’un que l’élève ne connaît que par Internet (44 %).

Les règles à la maison pour régir les activités en ligne ont changé depuis l’enquête de 2005. Bien que les groupes de discussion menés par HabiloMédias en 2012 (parents et élèves) aient permis de comprendre que les parents étaient de plus en plus préoccupés par les activités des jeunes en ligne, le nombre moyen de règles d’utilisation d’Internet à la maison a néanmoins diminué depuis 2005. Par exemple, dans le cadre de la précédente enquête, 74 % des élèves mentionnaient l’existence d’une règle à la maison concernant toute rencontre avec une personne connue par l’intermédiaire d’Internet, alors que le pourcentage n’est plus que de 44 % aujourd’hui. En ce qui touche les renseignements personnels, 69 % des élèves devaient se conformer à une règle sur la communication d’information personnelle en 2005, mais seulement 55 % d’entre eux suivent une règle concernant la publication de renseignements personnels sur Internet en 2013.

84 % des élèves interrogés disent devoir se conformer à des règles à la maison relativement à leurs activités en ligne.

Conformément à l’étude précédente, les règles d’utilisation d’Internet à la maison ont des effets positifs significatifs sur ce que les élèves font en ligne, réduisant ainsi les comportements à risque comme afficher ses renseignements personnels, visiter des sites de jeux d’argent, consulter de la pornographie en ligne et parler à des inconnus. En général cependant, le nombre de règles chute considérablement après la 7e année, et les filles de tous âges sont plus susceptibles que les garçons de devoir suivre des règles d’utilisation. En effet, les règles en ligne concernant les activités suivantes sont plus fréquemment imposées aux filles qu’aux garçons : communiquer avec des inconnus (61 % des filles par rapport à 40 % des garçons), rencontrer en personne quelqu’un connu par l’intermédiaire d’Internet (52 % par rapport à 35 %), avertir leurs parents de toute situation qui les rend mal à l’aise en ligne (46 % par rapport à 30 %), et traiter les gens avec respect en ligne (54 % par rapport à 40 %).

La tendance à imposer davantage de règles aux filles tient sans doute à leur plus grande vulnérabilité, mais cette situation s’explique peut-être aussi par le fait qu’Internet n’évoque pas la même réalité pour les filles que pour les garçons. Les filles sont moins susceptibles d’adhérer à l’affirmation selon laquelle « Internet est un endroit sécuritaire pour moi », et ont plus tendance à se dire d’accord avec l’affirmation suivante : « Il pourrait m’arriver quelque chose si je parle à quelqu’un que je ne connais pas en ligne. » Malgré ces différences, tant les garçons que les filles ont confiance en leur capacité de s’occuper d’eux-mêmes, puisque neuf répondants sur dix sont d’accord avec l’affirmation « Je sais comment me protéger en ligne ».

Les jeunes tirent leurs connaissances sur la vie en ligne de plusieurs sources

Les élèves considèrent leurs parents comme une source précieuse pour apprendre des choses à propos d’Internet : près de la moitié (45 %) déclarent que ceux-ci les ont informés au sujet de la cyberintimidation, de la sécurité en ligne et de la gestion de la vie privée. Toutefois, les parents ne représentent pas leur seule source d’information sur les questions relatives à Internet, puisque les élèves mentionnent qu’ils en ont aussi été informés par leurs enseignants (41 %), leurs amis (18 %) ou en lisant en ligne (19 %). En vieillissant, les élèves sont plus susceptibles d’affirmer avoir été informés sur ces questions par leurs enseignants que par leurs parents. Ainsi, les élèves de la 4e à la 6e année étaient plus nombreux à avoir été informés par leurs parents (75 %) que par leurs enseignants (50 %) au sujet de la sécurité en ligne. Un nombre inquiétant d’élèves disent cependant ne pas avoir été informés du tout sur ces sujets. Ainsi, plus de la moitié des élèves de la 4e à la 6e année n’ont appris aucune stratégie pour authentifier l’information en ligne, que ce soit à la maison ou à l’école.

La vie en ligne a soulevé de nombreuses questions nécessitant un examen plus approfondi. Toutefois, il semble déjà évident qu’en dépit de leur confiance dans les outils numériques – ou peut-être à cause d’elle –, les jeunes Canadiens, et particulièrement les enfants du primaire, ont besoin de faire l’apprentissage de compétences en littératie numérique. Les parents et les enseignants ont quant à eux besoin qu’on leur fournisse des outils et des ressources pour les aider à leur inculquer ces compétences.

 


* Les études d’HabiloMédias sont effectuées à travers le Canada. Et pour cette raison, les termes « élèves de la 7e à la 11e année » sont utilisés, et se rapportent au Québec aux élèves de la première à la cinquième année du secondaire.

Cet article a été présenté dans le magazine Transition à l’automne 2013 (vol. 43, no 3).

Matthew Johnson est directeur de l’éducation pour l’organisme HabiloMédias, le centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique.

Pour de plus amples informations ou pour accéder à des ressources sur les médias et la littératie numériques, visitez les sites Web de HabiloMédias et de la Semaine éducation médias.

Retour en haut