Entretien : Emily Glossop-Nicholson à propos du foyer comme pivot de la famille, de la communauté et des relations

Emily Glossop-Nicholson parle des thèmes abordés dans son livre intitulé Notre famille est reconnaissante.

14 janvier 2022

Gaby Novoa

À la suite de la destruction de sa maison familiale au passage de la tornade qui a ébranlé la petite communauté de Dunrobin, en Ontario, en 2018, Emily Glossop-Nicholson raconte l’histoire de sa famille, qui a reçu de sa communauté le soutien, l’hébergement et l’aide dont elle avait besoin. Son livre illustré pour enfants, intitulé Notre famille est reconnaissante qui sera lancé le 21 janvier 2022, constitue l’expression des remerciements que les membres de sa famille adressent à leur parenté, à leurs amis et à leurs voisins, ainsi qu’aux spécialistes et aux parfaits étrangers qui ont prêté main-forte à la famille Glossop-Nicholson après le drame. Leur histoire touche des familles de partout au pays et dans le monde entier qui ont connu l’incertitude, le déracinement et les bouleversements causés par les répercussions de la crise climatique. Elle montre également que le fait d’accepter le soutien d’autrui amène la famille à renforcer sa capacité d’adaptation.

En entretien avec Gaby Novoa de l’Institut Vanier, Emily parle de la reconstruction de leur maison qui est devenue leur nouveau foyer, ainsi que de la solidarité de la communauté qui, dans son livre, est symbolisée par le règne animal. Enfin, elle donne son point de vue sur les définitions courantes du mot « résilience ».

Qu’est-ce qui vous a incitée à raconter votre histoire?

Après la tornade, j’ai lancé un blogue dans le but premier de tenir notre famille élargie au courant de ce qui se passait, de l’endroit où nous étions, de là où nous vivions. Mais avant tout, ce blogue nous permettait d’exprimer nos remerciements à tous ceux qui nous offraient de l’aide sur notre parcours. Lorsque l’Institut Vanier nous a demandé d’écrire notre histoire sous la forme d’un livre pour enfants, nous avons été séduits par cette idée. Nous avons compris non seulement qu’il s’agissait pour notre famille d’une occasion de travailler ensemble sur un projet vraiment intéressant, mais aussi que ce livre nous permettrait de remercier toutes les personnes qui nous ont offert du soutien concret. (Dans mes billets de blogue, j’ai souvent dit que ce mot – merci – ne suffisait pas pour témoigner de l’ampleur de notre gratitude.) Mais surtout, il allait nous permettre de raconter aux enfants, aux familles et aux communautés (qu’ils soient actuellement confrontés à des difficultés ou qu’ils envisagent les épreuves qu’ils seront appelés à surmonter dans leur vie) une histoire évocatrice qui vise à leur montrer qu’ils ne sont – ou ne seront – pas seuls. Notre histoire leur rappellera qu’il y aura toujours « des aidants » (comme les appelle M. Rogers) pour les entourer d’amour et de soutien (même s’ils n’ont aucune idée du type d’aide dont ils ont besoin).

Si ce processus d’écriture m’a procuré un réel plaisir, il s’est également révélé éprouvant à certains moments, je dois l’avouer. Il a fait ressurgir certains souvenirs difficiles et nous donnait parfois l’impression de revivre cette tragédie.

Ce livre a nécessité presque deux ans de travail. Bien que j’aie réalisé la plus grande partie de l’écriture, il s’agissait d’un projet de famille. Il y a d’ailleurs une phrase dans le livre que les enfants considèrent comme la leur, et c’est très valorisant pour eux de s’y retrouver. Mes enfants n’ont que 12 ans aujourd’hui, mais j’espère que dans plusieurs années, ils raconteront cette histoire à leur propre famille.

Après avoir perdu votre maison au passage de la tornade, puis avoir participé de près à l’expérience concrète de sa reconstruction, pouvez-vous nous dire ce que les mots « maison » et « foyer » évoquent pour vous et votre famille?

Cette question me touche droit au cœur. Pour moi, les mots « maison » et « foyer » sont tout à fait distincts maintenant, et il y a d’ailleurs une phrase dans le livre qui dit : « Nous avons reconstruit la maison qui est maintenant notre foyer ». Cette phrase a nécessité une profonde réflexion, en raison de l’importante différence que j’observe entre ces deux mots. Notre ancienne maison, que les enfants appellent maintenant « la maison en ruines », était notre foyer. Elle était remplie de souvenirs et d’objets précieux, comme les premiers dessins de nos enfants ainsi que certains de mes vêtements préférés du temps où ils étaient bébés, que je gardais pour en faire une courtepointe. Il y avait des objets patrimoniaux – des objets transmis de génération en génération et qui se trouvaient dans notre maison. Notre foyer contenait des œuvres d’art réalisées par des membres de la famille et qui occupaient une place très spéciale sur nos murs. Todd, mon mari, et moi possédions des objets que nous avons gagnés et pour lesquels nous avons travaillé dur, comme des trophées, des médailles et des récompenses. Lorsque la tornade a emporté une grande partie de toutes ces choses, il ne restait plus qu’une coquille. Quelques murs qui n’étaient en fait plus qu’un bâtiment – il s’agissait alors d’une simple maison.

Je dois avouer qu’il m’a fallu du temps avant de sentir que cette nouvelle maison, dans laquelle je me trouve présentement, était notre foyer. Ce n’est que récemment que j’ai commencé à m’y sentir pleinement chez moi. Lorsque presque tout ce qui nous entoure est neuf – autant les meubles que les vêtements, les bijoux, les livres, les œuvres d’art et même les ustensiles de cuisine – c’est difficile de se sentir chez soi. Je crois que le fait de participer à la construction de la maison et d’y investir sang (vraiment – je me suis fait quelques blessures dans le processus), sueur et larmes a vraiment aidé à recréer ce sentiment que nous avions un nouveau foyer. Avec notre famille et nos amis, nous y avons travaillé si fort. La cheminée et le manteau de foyer ont été construits par des membres de notre famille et de très bons amis. Les enfants les regardent tous les jours et montrent les pierres qu’ils ont installées eux-mêmes. Moi aussi, quand je regarde l’ensemble de la maison, je vois chacun des différents projets auxquels nous avons pris part. Nous savons que nous avons participé à chacune des étapes et des décisions qui nous ont menés jusqu’à cette magnifique maison.

Ce n’est pas tant le bâtiment en soi qui est spécial – ce sont les personnes qui y vivent. C’est la famille qui y habite. Ce sont les personnes qui se sont jointes à nous pour célébrer notre nouvelle vie. D’ailleurs, cela n’a pas été facile, car nous avons emménagé au début de la pandémie de COVID-19; nous n’avons pas encore pu recevoir tous les amis et les membres de la famille qui nous ont aidés afin de leur présenter notre maison terminée.

Nous avons eu la chance de pouvoir sauver et restaurer quelques-unes de nos œuvres d’art originales, et celles-ci ont aujourd’hui une valeur particulière pour nous. D’ailleurs, l’une d’elles est parsemée d’éclats de verre, mais elle demeure belle à sa manière. Des gens m’ont demandé comment j’avais pu lui redonner cette place, et c’est parce que je sais d’où elle vient. Elle a une signification importante, et je ne peux pas la remplacer. Elle restera donc accrochée à cet endroit précis, avec toutes ses petites coupures, mais ce n’est pas grave, car elle témoigne de notre parcours.

Je crois qu’en fait, c’est magnifique d’avoir une maison où vivre, mais ce qui font d’elle un vrai foyer sont les choses et les gens qui se trouvent entre ses murs.

Œuvre d’art restaurée affichée dans la maison de la famille Glossop-Nicholson

On perçoit généralement la résilience comme le fait de « rebondir ». Que signifie la résilience pour vous?

On m’a posé cette question à quelques reprises déjà et j’y ai longuement réfléchi. Les gens m’ont dit : « Tu sais, Emily, tu es tellement résiliente! ». Parfois, je remets cela en question. Il y a des jours où je me sens résiliente, et d’autres non. En tant que parent, c’est également une notion qui a retenu mon attention : qu’est-ce que je peux faire pour favoriser la résilience chez mes enfants? Après y avoir réfléchi pendant un certain temps et fait des recherches sur le sujet, j’aurais envie de modifier la définition conventionnelle du mot « résilience ». Je crois que nos expériences de vie, positives ou négatives, façonnent qui nous sommes. Elles nous transforment en profondeur. Je ne crois pas que nous « rebondissions » pour reprendre notre forme d’origine ou que nous retrouvions l’état que nous avions avant la crise. La nouvelle forme que nous prenons n’est ni meilleure ni pire. Nous sommes simplement plus expérimentés et enrichis de nouvelles leçons de vie.

Je ne crois pas non plus que la résilience se définisse dans une perspective temporelle. Le sens courant de la résilience semble sous-entendre l’idée de « rebondir rapidement ». Je ne crois pas qu’il y ait une échéance à la résilience. Je crois que pendant les périodes difficiles, chacun chemine à son propre rythme sur le parcours de la résilience et de l’apprentissage de la résilience. Je pense qu’il faut demeurer focalisé sur le bonheur, le confort et l’amélioration, mais cela peut prendre du temps. Il est possible qu’à certains moments, vous cheminiez plus rapidement, et qu’à d’autres moments, vous avanciez à pas de tortue, et c’est bien ainsi.

Je crois que nos expériences de vie, positives ou négatives, façonnent qui nous sommes. Elles nous transforment en profondeur. Je ne crois pas que nous « rebondissions » pour reprendre notre forme d’origine ou que nous retrouvions l’état que nous avions avant la crise. La nouvelle forme que nous prenons n’est ni meilleure ni pire. Nous sommes simplement plus expérimentés et enrichis de nouvelles leçons de vie.

Je pense que notre capacité à faire preuve de résilience et à surmonter les difficultés est directement reliée à notre milieu de vie et de travail. Elle est influencée par les personnes qui nous entourent et qui nous soutiennent, et par les leçons que l’on a tirées de nos expériences antérieures, ainsi que par les choix que l’on a faits.

Pour moi, la résilience est un parcours individuel. Elle se présente avec un visage différent pour chacun. Même si on est tous confrontés à la même difficulté ou à la même crise au même moment, chacun vivra celle-ci différemment. C’est important de respecter cela, de le reconnaître et de le comprendre. Chacun connaîtra des hauts et des bas au fil de son parcours. Je crois que tout repose sur les choix que l’on fait et notre façon de réagir. En fait, ce parcours nous permet de tirer de nombreuses leçons, mais aussi de saisir les occasions qui nous serviront au moment de relever notre prochain défi. Parce que des défis, il y en aura toujours de nouveaux à relever.

Le mot « résilience » semble également associé à la notion de « force ». Certains croient qu’être résilient signifie être fort, et je crois que c’est inexact. Ce n’est vraiment pas le cas. On peut être résilient et avoir des moments de faiblesse. On peut aussi être une personne très forte et se sentir vulnérable à certains moments. Je n’associe simplement pas ces deux choses – la résilience et la force – et je crois qu’on les relie trop souvent, à tort.

Vous avez appris à affronter l’incertitude et l’adversité. Quels conseils donneriez-vous à ceux qui vivent une situation semblable?

Il s’agit d’une leçon que nous avons apprise, et qui n’a pas été facile à apprendre. En plus d’avoir appris à maintenir une attitude positive et à accueillir les occasions qui se présentent lorsque l’on est confronté à des difficultés, je crois que la leçon la plus importante de ce parcours est que c’est correct de demander de l’aide. Nous en avons tous besoin, alors il faut bien le reconnaître. Il faut accepter l’aide avec gratitude. Et se rappeler que lorsque l’occasion se présentera, nous serons en mesure d’aider une autre personne à notre tour. C’est une simple question de gentillesse, qui s’exprime dans les deux sens. Il doit y avoir une personne qui donne et une qui reçoit. Je crois en fait que les deux parties sont gagnantes, autant le donneur que le receveur. Il faut s’accrocher à ces deux rôles tout au long de notre parcours de vie, en donnant lorsqu’on peut le faire et en acceptant de recevoir lorsque c’est nécessaire.

Cela a été une leçon difficile à apprendre. Todd et moi avons l’habitude d’aider les autres et d’être toujours là pour eux. Nous avons dû apprendre à nous asseoir dans une autre chaise et à être ceux qui demandent de l’aide, parfois en ne sachant même pas ce que nous devions demander, mais en ayant quand même besoin d’aide. Nous avons appris à accepter l’aide dès qu’elle apparaissait au bout de notre rue. Nos amis ont simplement débarqué. J’étais à la maison, juste après la tornade, et je ne savais pas où aller. Ils m’ont ramenée vers ma famille et nous ont simplement ramenés chez eux. Ils savaient que nous avions besoin d’un endroit où nous asseoir, manger et dormir. Des amis nous ont apporté de la nourriture, des vêtements et même une peluche pour chacun des enfants. C’est d’ailleurs une phrase du livre, « une peluche contre laquelle se blottir ». C’est vrai. Toutes ces phrases sont vraies. Elles proviennent de notre histoire, même si elles sont écrites comme un simple récit familial. Toutes ces phrases sont profondément enracinées dans notre histoire personnelle.

Pourquoi pensez-vous que votre histoire touche autant de familles? Pourquoi était-il important pour vous de la faire connaître?

C’est une bonne question, qui me fait monter les larmes aux yeux. Cette histoire a un lien déchirant et évident avec les catastrophes climatiques. L’autre jour, mes enfants avaient de la difficulté à comprendre en quoi la tornade qui avait eu lieu au Kentucky était pire que celle qui nous a touchés. Nous avons dû leur expliquer que la situation était vraiment pire, là-bas. Elle avait touché de nombreux quartiers, des communautés entières. Nous avons été très chanceux ici, à Dunrobin, parce que personne n’a perdu la vie en raison de cette tornade. Nous ne savons pas comment cela a été possible. Certaines personnes ont subi des blessures très importantes, mais en ce vendredi après-midi précis, plusieurs événements ont fait que personne n’a perdu la vie. Il ne fait aucun doute que de nos jours, les catastrophes environnementales et les changements climatiques ont de profondes répercussions, ici au Canada et chez les familles de partout dans le monde. Nous l’observons avec les épisodes de chaleur intense et de sécheresse, avec les incendies et les inondations que les Canadiens ont connus au cours des dernières années.

De façon générale, nous vivons tous des moments très difficiles avec la pandémie. Je sais que certaines familles subissent des pertes, notamment la perte de temps en compagnie d’êtres chers, la perte d’emplois, la perte de prévisibilité. Nous sommes confrontés à l’isolement et à la peur. Ces trois choses – la perte, l’imprévisibilité et la peur – ont grandement affecté notre famille ainsi que notre communauté après la tornade.

Je me suis posé la même question : pourquoi notre histoire est-elle importante? En quoi est-il important de la raconter? Il faut comprendre que nous ne parlons pas seulement d’une tornade, d’un incendie ou d’une inondation. Nous parlons en fait de difficultés auxquelles chacun de nous sera confronté au cours de sa vie. Et malheureusement, nous serons tous un jour ou l’autre confrontés à des défis dans notre vie. Il est important de savoir qu’il y aura toujours des gens pour nous entourer, nous épauler et nous encourager. J’ajouterais aussi que si l’on rencontre une autre personne qui traverse une période difficile, il ne faut pas hésiter à saisir l’occasion d’être cette personne qui l’entourera, l’épaulera et l’encouragera.

Comment le livre sera-t-il distribué?

Le livre a été imprimé en quantité restreinte dans le but de sensibiliser les enfants et de soutenir les gens, les familles et les communautés qui rencontrent des situations semblables. Nous comptons également offrir le livre à notre communauté en guise de remerciement. Toutefois, advenant une demande suffisante pour justifier l’impression d’exemplaires supplémentaires, il est possible d’en faire la demande à l’Institut Vanier (à l’adresse info@institutvanier.ca), et les livres seront fournis au prix coûtant.


Un mot d’Emily : Je souhaite témoigner ma gratitude et mes remerciements sincères à l’Institut Vanier et au Fonds Alan‑Mirabelli pour la créativité et l’innovation, qui m’ont permis d’œuvrer à un projet ayant pour but d’aider d’autres personnes et d’autres familles du Canada par le biais d’un support créatif et innovant. Je tiens à exprimer ma sincère gratitude à l’Institut Vanier pour cette occasion et au Fonds Alan‑Mirabelli pour avoir soutenu notre vision en lui permettant de voir le jour.

Gaby Novoa est responsable des communications et des publications à l’Institut Vanier de la famille.

Cette entrevue a été révisée dans un souci de clarté et pour atteindre une longueur optimale.

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