Anil Arora – Discours liminaire prononcé lors de la #FAM2019

(En anglais seulement.)

Anil Arora, statisticien en chef du Canada

Discours liminaire, Conférence sur les familles au Canada 2019

Prononcé à Ottawa (Ontario) le 27 mars 2019

 


J’aimerais d’abord remercier l’Institut Vanier de la famille de m’avoir invité à participer à cette importante et pertinente conférence. Je suis heureux d’être parmi vous aujourd’hui afin de participer et de contribuer à vos échanges portant sur le thème des familles au Canada, et j’ai également hâte d’en apprendre plus de vous tous au cours des deux prochains jours.

Aujourd’hui, j’aborderai trois notions clés :

  • D’abord, l’importance de la collaboration et la mesure dans laquelle elle améliore notre compréhension des familles et de leur bien-être;
  • Ensuite, l’évolution des familles au Canada au fil du temps, telle que perçue par les instruments de mesure de Statistique Canada;
  • Enfin, un aperçu des besoins en matière de politiques, en tenant compte de la nouvelle réalité des familles d’aujourd’hui.

L’un des principaux objectifs de Statistique Canada est de s’assurer de ramener ses données entre les mains des Canadiens, car ce sont eux qui partagent leur vie avec nous en répondant à nos sondages et en nous permettant d’évaluer leurs réalités et d’analyser leurs réponses.

Nous apprécions sincèrement le travail acharné que vous effectuez, que vous soyez universitaires, décideurs, fournisseurs de services, médias, organismes de bienfaisance et, bien sûr, l’Institut Vanier. Chacun de vous nous aide à faire en sorte que nous disposions de données probantes pour améliorer le bien-être des familles.

Au cours des dernières semaines, nous avons lancé une nouvelle série d’articles intitulée « Histoire de famille », qui met en relief les nouvelles données sur la famille canadienne tirées de l’Enquête sociale générale de 2017 sur la famille ainsi que d’autres sources. La série « Histoire de famille » est le fruit d’un partenariat avec l’Institut Vanier, qui nous a apporté des conseils éclairés sur la façon de structurer nos analyses afin d’en maximiser l’accessibilité pour le public. Cette série constitue un complément aux nombreuses publications de données ainsi qu’à la recherche en cours à Statistique Canada, et ce partenariat avec l’Institut Vanier nous aide à mieux comprendre les familles canadiennes. Nous nous réjouissons à l’idée de poursuivre sur cette lancée et d’approfondir notre collaboration.

Adopter les mégadonnées, c’est s’engager dans de nouvelles voies avec nos partenaires dans le but d’améliorer notre connaissance du bien-être de la famille. Un autre exemple concret de partenariat est une initiative gouvernementale pluriannuelle présentement en cours, qui vise à mieux comprendre comment aider les enfants canadiens à avoir un début de vie le plus favorable possible et à mieux soutenir les familles canadiennes.

Statistique Canada travaille en partenariat avec Emploi et Développement social Canada (EDSC) à un vaste programme de recherche et de développement de données sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, qui permettra d’obtenir de meilleurs résultats. Nos partenaires fédéraux, notamment EDSC, sont aussi enthousiastes à l’idée de trouver de nouvelles façons novatrices d’utiliser et de créer de nouvelles données et de travailler ensemble à combler les importantes lacunes en matière de données sur les familles canadiennes.

Pour tirer le meilleur parti des mégadonnées, il faut également faire intervenir différentes disciplines au sein de notre organisme : il y a une plus grande collaboration ainsi que de meilleurs partenariats entre les diverses spécialisations de recherche liées à la famille lorsque les analystes de tout l’organisme travaillent ensemble.

Il s’agit là d’une condition essentielle, car nous sommes à la recherche de nouvelles sources de données pouvant nous aider à en apprendre davantage sur les familles canadiennes. Statistique Canada a récemment mis sur pied un groupe de travail interne sur l’analyse des familles afin de soutenir l’objectif de l’Institut Vanier, qui est de lancer un réseau de recherche sur la famille dans le sillage de la présente conférence.

Le partage d’information entre les spécialisations et avec nos partenaires, ainsi qu’une collaboration accrue et transversale, sont essentiels pour parvenir à mieux comprendre certains aspects de la société canadienne et la façon dont elle évolue continuellement. Ce sont là des exemples concrets de l’importance des partenariats et de la collaboration dans la modernisation de notre approche visant à saisir, à analyser et à publier des données ainsi que divers points de vue à propos de la société et des familles canadiennes.

Attardons-nous maintenant aux changements qui sont survenus au sein des familles canadiennes au cours des dernières décennies. Il est frappant de voir comment les tendances et les nouveaux enjeux au sein de la famille reflètent plus largement l’état de la société, de l’économie et de la culture du Canada. Il est clair que la famille, dans toute sa diversité, est vraiment au cœur de la vie canadienne, influençant et étant influencée par les grandes tendances de la société. À l’époque de la Confédération en 1867, les familles canadiennes étaient très différentes, incluant par exemple souvent plusieurs générations d’une même famille sous le même toit, c’est-à-dire outre les parents et les enfants, des parents plus éloignés, des enfants en famille d’accueil, voire des domestiques, des ouvriers ou encore des pensionnaires.

On estime qu’en 1901, environ une famille sur trois comptait d’autres personnes que les parents et les enfants, comparativement à moins d’une famille sur dix aujourd’hui. Peu à peu, on a donc assisté à une « nucléarisation » des familles, les parents et les enfants devenant plus susceptibles de vivre seuls, sans aucune autre personne supplémentaire à la maison.

Au tournant du 20e siècle, le Canada se trouvait au milieu de ce que l’on qualifie de « transition démographique », passant d’une époque où les décès et les naissances étaient relativement élevés, à une autre où la santé de la population s’améliore, l’espérance de vie est plus longue et la planification familiale prend plus d’importance.

Parallèlement, le Canada devenait l’un des principaux pays d’accueil des immigrants internationaux : en 1913, les nouveaux immigrants représentaient plus de 5 % de la population, soit le taux le plus élevé observé depuis la Confédération, et qui était même beaucoup plus élevé que le taux associé à l’accueil d’immigrants au Canada en 2018 (tout juste sous la barre des 1 % de la population). Cette situation a eu un impact sur la répartition régionale et ethnique de la population, entraînant notamment la croissance des villes. Ces nouveaux Canadiens arrivaient avec des coutumes différentes associées à la vie familiale, ce qui a contribué à une plus grande diversification des caractéristiques de la famille dans l’ensemble du pays.

Avec l’évolution des méthodes de production au début du 20e siècle, les familles étaient plus susceptibles de s’installer dans les villes. Les emplois liés à la production et aux usines ont amené les ménages à dépendre davantage de leurs salaires, ce qui a entraîné un changement d’attitude à l’égard de la taille des familles. Les enfants qui étaient auparavant considérés comme des membres productifs au sein des ménages sont devenus des personnes à charge. Le taux de fécondité total au Canada est passé d’environ 6,6 enfants par femme en 1851 à 2,6 enfants par femme en 1937.

En cette période de grands bouleversements sociétaux, la vie était très différente, en particulier pour les enfants : les recensements du début du 20e siècle présentaient des tableaux sur le salaire des enfants d’à peine 10 ans. À cette époque, les revenus des enfants étaient importants pour la sécurité économique de plusieurs familles partout au pays : en 1931, les enfants rapportaient 12 % de l’ensemble des revenus de la famille. Cette situation a changé par la suite lorsque les lois sur la scolarité obligatoire et sur le travail des enfants ont été adoptées d’un bout à l’autre du Canada.

À la suite de ces importants changements législatifs, les enfants se sont retrouvés dans une situation très différente de celle de leurs parents. D’ailleurs, selon le recensement de 1921, les trois quarts des enfants qui fréquentaient l’école avaient des parents analphabètes.

Les temps difficiles des deux guerres mondiales et de la Grande Dépression ont touché les familles de nombreuses façons. En 1921, près d’un enfant sur dix de 15 ans et moins avait été confronté au décès d’au moins un de ses parents, et 4 % avaient vu leurs deux parents mourir. À cette époque, les gens se mariaient plus tard et avaient relativement moins d’enfants, ce qui reflète la complexité d’élever une famille en période économique difficile.

Les enfants placés en famille d’accueil étaient beaucoup plus courants à cette époque, en raison du décès de l’un ou des deux parents, ou encore parce que, en l’absence de programme public d’aide sociale, les parents ne pouvaient simplement pas subvenir aux besoins des enfants. Toutefois, les années qui ont suivi immédiatement la Deuxième Guerre mondiale ont été caractérisées par un boum économique et une importante période de développement industriel.

Encore une fois, l’époque de prospérité se reflétait sur les familles canadiennes : les hommes et les femmes se mariaient davantage, et à un plus jeune âge, et les femmes commençaient à avoir des enfants plus jeunes que les générations précédentes, et elles en avaient plus.

Environ 479 000 enfants sont nés en 1959, soit le nombre annuel de naissances le plus élevé jamais enregistré. Par conséquent, pendant ces années du baby-boom, les enfants représentaient une proportion relativement importante de la population totale du Canada – ce qui a des répercussions encore aujourd’hui!

Jumelé à une économie forte, le développement de l’infrastructure du pays était orienté sur les besoins de cette jeune génération et les a suivis au fil du temps : de la construction d’écoles primaires pendant leur enfance à la construction de nouvelles universités, au développement des banlieues et à la création d’emplois lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte.

Au milieu du 20e siècle, les changements culturels et l’amélioration de la santé de la population ont entraîné une période d’uniformité remarquable en ce qui concerne les familles canadiennes. En 1961, 94 % des enfants vivant au sein des familles recensées vivaient avec deux parents mariés – la proportion la plus élevée jamais observée. Bien que l’on qualifie parfois cette période de « l’âge d’or de la famille », il est apparu clairement que dans plusieurs cas, une vie familiale plus stable ne signifiait pas nécessairement une vie plus heureuse ou satisfaisante pour les membres de la famille.

Au cours des décennies qui ont suivi le baby-boom, de nombreux développements culturels ont eu des répercussions importantes sur la société et les familles. Avant la fin des années 1960, la pilule contraceptive a été légalisée et la participation des femmes à l’enseignement supérieur et à la population active rémunérée a augmenté. Le déclin de l’influence religieuse a également affecté la vie de famille. Tous ces événements conjugués ont contribué à ce que les familles se forment à un âge plus avancé, et qu’elles comptent moins de membres : le nombre moyen de personnes par famille recensée est passé de 3,9 en 1961 à 2,9 en 2016. Au fur et à mesure que les couples adoptaient le modèle « à deux revenus », les modalités de travail des parents et leur temps libre à consacrer à la famille ont commencé à changer par rapport aux décennies précédentes.

Entre 1976 et 2015, la proportion des familles formées d’un couple avec enfants où les deux parents travaillaient a presque doublé, passant de 36 % à 69 %. Une fois de plus, les répercussions importantes des modifications législatives sur la famille sont devenues évidentes après l’adoption, en 1968, du divorce sans égard à la faute. L’augmentation subséquente du nombre de divorces a engendré un plus grand nombre de familles monoparentales – contrairement à ce que l’on observait auparavant, ces parents étaient plus susceptibles d’être séparés ou divorcés que veufs.

En 1991, 70 % des enfants de familles monoparentales vivaient avec un parent divorcé ou séparé, par rapport à 24 % en 1931. Outre les taux de séparation et de divorce qui étaient en hausse, on a observé une augmentation du nombre de familles recomposées, et de plus en plus de gens choisissaient de vivre seuls suivant une rupture conjugale.

Les solutions de rechange au mariage légal sont également devenues plus répandues et culturellement acceptées à cette époque, ce qui a mené à la croissance des unions libres, un mode de vie commune en famille que de plus en plus de couples choisissaient pour eux-mêmes ainsi que pour élever leurs enfants.

Le nombre de couples en union libre au Canada a plus que quadruplé entre 1981 et 2016. Le 21e siècle a vu se perpétuer plusieurs tendances sociétales qui avaient vu le jour au siècle dernier, notamment une transition plus longue vers l’âge adulte pour de nombreux jeunes, tendance démontrée par les mariages, la vie commune ou l’arrivée des enfants qui surviennent plus tardivement.

Ces changements se sont accompagnés d’une tendance accrue à rester ou à retourner vivre chez ses parents : en 2016, plus du tiers (34,7 %) des jeunes adultes âgés de 20 à 34 ans habitaient avec au moins un parent. Le fait d’avoir moins d’enfants et de vivre plus longtemps a créé de nouvelles étapes dans le cycle de la vie familiale.

Outre le fait que la période qui comprend l’adolescence et la vie dans le foyer parental a été prolongée, l’étape du « nid vide » qui suit le départ de la maison du dernier enfant est maintenant chose courante, elle qui était quasi inexistante chez le couple moyen au début du 20e siècle. La solitude est devenue un enjeu important.

Le nouveau millénaire a également amené une reconnaissance sociétale accrue de la diversité de la vie de famille, ce qui a été mis en évidence par la légalisation du mariage homosexuel partout au Canada en 2005. Le prolongement de l’espérance de vie, l’augmentation du coût de la vie dans les régions urbaines, qui entraîne le partage de résidences, ainsi que les pratiques culturelles amenées au Canada par des immigrants provenant de nouvelles régions du monde ont aussi contribué à ce que les ménages multigénérationnels soient devenus le type de ménage dont la croissance était la plus rapide entre 2011 et 2016, ce qui nous rappelle les tendances qui avaient cours il y a plus d’un siècle.

La mondialisation et les progrès rapides de la technologie et des communications ont contribué à élargir notre définition de la famille. Aujourd’hui, et probablement plus que jamais auparavant, les quatre murs qui abritent un ménage ne parviennent pas toujours à refléter adéquatement la situation familiale d’une personne.

Bien qu’il y ait plus de gens qui vivent seuls que jamais auparavant, nous savons que plusieurs d’entre eux gèrent des situations familiales complexes et entretiennent des liens étroits avec leurs proches :

  • 72 % des adultes vivant seuls en 2017 avaient déjà vécu en couple, et un peu plus de la moitié (54,6 %) avaient au moins un enfant.
  • De plus en plus, les couples de tous âges choisissent de « vivre chacun chez soi » pour diverses raisons, notamment en raison des exigences du travail ou pour se rapprocher des enfants qui habitent avec un ancien conjoint ou partenaire.
  • Les grands-parents vivent plus longtemps et, par conséquent, jouent un rôle plus central dans la vie de leurs petits-enfants : la proportion des grands-parents âgés de 85 ans et plus a plus que doublé entre 1995 (3 %) et 2017 (8 %), et 5 % des grands-parents habitaient avec au moins un de leurs petits-enfants en 2017.
  • Les adultes qui vivent avec les enfants de leur conjoint et leurs enfants d’une union précédente gèrent une dynamique familiale et un mode de cohabitation complexes.

L’une des constantes que nous avons pu observer au fil des années est la riche diversité de la vie de famille au Canada, qui reflète des circonstances et des contextes culturels, historiques, régionaux et économiques uniques.

  • Les familles recomposées et les unions libres sont maintenant chose courante au Québec et dans les territoires : les couples en union libre représentaient 50 % des couples du Nunavut et 40 % des couples du Québec en 2016. Par rapport à la moyenne nationale, les ménages multigénérationnels sont beaucoup plus nombreux au Nunavut (12 % de tous les ménages en 2016), ainsi que dans les régions métropolitaines de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.
  • À Toronto, près de la moitié de l’ensemble des jeunes adultes vivent avec leurs parents (47,4 % en 2016), comparativement à 26,8 % à Calgary, où les familles avec jeunes enfants représentent une proportion plus élevée que la moyenne de tous les ménages.

Toutes ces réalités émergentes m’amènent à conclure en invitant chacun d’entre vous à réfléchir aux besoins des familles d’aujourd’hui en matière de politiques. Cette réflexion devrait guider notre discussion sur les mégadonnées au cours des deux prochains jours.

Par exemple :

  • En tant que Canadiens, devrions-nous repenser les droits et les responsabilités des couples qui vivent séparément, des grands-parents qui vivent avec leurs petits-enfants et en prennent soin, des parents de familles recomposées?
  • Devrions-nous changer notre approche quant à la façon dont les institutions, y compris nos organismes de statistiques, définissent et déterminent l’appartenance à la famille?

J’ai fait remarquer plus tôt que la grande génération des baby-boomers a eu un impact significatif sur la société canadienne, à mesure que cette génération traversait les différentes étapes de la vie. Il est probable que ce soit encore le cas au cours des prochaines années, alors que cette large génération intègre les âges plus avancés. Les baby-boomers ont eu moins d’enfants, ils ont vécu plus souvent que les générations précédentes en union libre, et ont connu plus souvent des ruptures d’union. Par ailleurs, la diversité ethnoculturelle de la population canadienne a considérablement augmenté depuis trois décennies. Ce sont quelques-unes des tendances qui ont un impact sur la situation familiale des personnes âgées, qui devient plus complexe, et sur les services à leur prodiguer. Par exemple, quels effets ces tendances auront-elles sur le soutien formel et informel aux personnes âgées dans l’avenir? Sur les soins en fin de vie?

Alors que la pression sur la société s’intensifiera au cours des prochaines décennies pour se concentrer sur l’important groupe d’aînés de la population, il sera important que les Canadiens réitèrent leur engagement à l’égard des jeunes familles et des enfants au Canada.

Quels types de programmes et de politiques parviendront à résoudre efficacement le cycle de la pauvreté intergénérationnelle? Quelles ressources peuvent être mobilisées pour remédier aux inégalités qui existent entre les familles en matière de revenu? De quels genres de soutiens les enfants vivant au sein de familles recomposées et de familles monoparentales ont-ils besoin? Comment pouvons-nous nous assurer que les enfants de nouvelles familles canadiennes bénéficient d’un début de vie favorable? Il ne s’agit là que d’un petit échantillon des questions politiques à considérer en regard des nouvelles tendances associées à la famille, et qui nécessitent d’être appuyées par des données et des recherches probantes. Dans notre exploration des manières d’utiliser les mégadonnées pour mieux comprendre les familles et améliorer leur bien-être, il nous faudra considérer ces questions ainsi que d’autres enjeux auxquels les familles risquent d’être confrontées dans l’avenir.

Je vous remercie sincèrement.

 

Révisé en vue de la publication. Publié par l’Institut Vanier de la famille avec permission. (Les parties en italique ont été prononcées en français.)


Publié le 9 avril 2019

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