À la rencontre de mon arrière-grand-père grâce aux archives familiales

Gaby Novoa

13 septembre 2020

Les traces de l’identité d’une personne – qui s’accrochent aux photos, aux lettres, aux documents et autres vestiges de sa vie – contiennent et préservent des parcelles de son existence bien après son passage physique sur terre. Bien que la vie de mon arrière-grand-père Alcide ait précédé la mienne de plus de 50 ans, j’ai eu l’occasion, grâce à une recherche dans des archives, d’accéder à un pan du passé, d’apprendre à le connaître sous des angles inattendus, et d’établir un lien qui transcende l’espace et le temps.

Ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que notre famille a commencé à obtenir un portrait plus complet, après qu’une de mes tantes eut récupéré des documents des Forces armées canadiennes auprès de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Depuis, ces documents ont été colligés avec d’autres fichiers et diverses reliques associés à la vie et au service militaire d’Alcide, qui avaient été disséminés et conservés dans des boîtes de rangement chez plusieurs parents. Cette riche collection obtenue par l’unification récente des archives d’Alcide a déclenché mon désir d’en savoir plus à son sujet et à propos de l’impact que ces traces concrètes peuvent avoir sur leur lien avec l’histoire familiale.

La connaissance de la famille est façonnée par la réalité familiale

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Alcide était un soldat canadien, membre du 2e bataillon de réserve, Les Fusiliers Mont-Royal. Il a rencontré mon arrière-grand-mère Doris en Angleterre, où ils se sont épris l’un de l’autre et se sont rapidement mariés, avant qu’Alcide ne soit tenu de reprendre son service. Lorsqu’il a été tué à l’âge de 22 ans, le 24 septembre 1944 en Belgique, il ne savait pas que Doris était enceinte de sa fille – ma grand-mère maternelle, Alcida. Ma grand-mère a donc grandi en connaissant le deuil et le chagrin de sa mère, mais sans jamais connaître son père. La situation est demeurée inchangée pour elle, car elle n’avait jamais eu connaissance qu’il existait des documents d’archives d’Alcide, qui constituent aujourd’hui la collection actuelle de notre famille.

Les archives des services de guerre récupérés à BAC m’ont apporté quelques détails sur sa vie militaire, permettant de confirmer certains faits et certaines dates, comme son rang de lieutenant ainsi que le lieu et l’heure de sa naissance et de son décès. Les archives gouvernementales ont ajouté à ce tableau de son expérience de la guerre des rapports indiquant les dates de ses déploiements, les dates de ses arrivées en Europe et les itinéraires de son régiment à travers l’Europe.

L’un de ces documents, un certificat signé en 1944 par le ministre de la Défense nationale, porte la mention « To the Next of Kin of: Lieutenant Joseph Romuald Alcide Boissonnault. This commemorates the gratitude of the Government and people of Canada for the life of a brave man freely given in the service of his Country. » (Au plus proche parent du : Lieutenant Joseph Romuald Alcide Boissonnault. La présente souligne la gratitude du gouvernement et du peuple canadiens envers un homme courageux qui a librement donné sa vie au service de son pays.) Ce message commémoratif démontre à la fois l’importance de servir l’armée canadienne et la légitimité de disposer des vies en période de guerre, où le sacrifice et la bravoure se confondent.

Les archives offrent un lien direct unique avec nos ancêtres

Alors que les archives des services de guerre et les autres documents des Forces canadiennes m’ont renseignée sur sa vie et son identité en tant que soldat, j’en ai appris davantage sur mon arrière-grand-père, en plus de tisser un lien plus profond avec lui, en explorant ses archives personnelles – en particulier ses lettres et ses photos, qui ont eu un impact émotionnel inattendu sur moi.

Mon monde actuel repose grandement sur le numérique : envoyer un message à un proche, lire le poème d’un ami ou regarder des photos, on fait tout cela en ligne. Cependant, le fait de pouvoir tenir entre mes doigts cette même feuille de papier, beige et d’aspect cotonneux, sur lequel Alcide a consigné ses pensées intimes, cela a suscité en moi l’impression d’être physiquement reliée à lui d’une manière unique. Je l’imaginais serrant ses lettres et revendiquant un moment de silence au milieu du chaos de la guerre, et je ne pouvais m’empêcher d’admirer la douceur avec laquelle ce jeune homme de 22 ans s’exprimait, s’adressant à son beau-frère comme son « beau frère » et à sa nouvelle épouse comme son « doux petit poulet ».

Je ressentais une plus grande intimité à lire son écriture cursive plutôt qu’un texte homogène sur un écran. En tenant ces mêmes matériaux sur lesquels Alcide a écrit ses états d’âme, j’ai eu l’impression d’entrer dans son monde et, pour la première fois, je me suis mise à pleurer mon arrière-grand-père. J’ai été frappée par la douleur d’une personne qui l’avait connu et perdu. Les photos dévoilent un jeune homme à peu près du même âge que moi aujourd’hui, arborant fièrement son uniforme; son sourire en coin évoque d’ailleurs une familiarité d’une manière réconfortante.

Connaître le passé familial influence le présent de la famille

Dans un courriel que j’ai reçu de ma grand-mère, elle aborde sa récente reconnexion avec les archives d’Alcide : « Je suis submergée par l’émotion chaque fois que je parcours ces documents. Tout est dans ma mémoire cellulaire, et elle se déclenche chaque fois que j’y replonge. »

Cette exploration familiale a captivé non seulement mon attention, mais aussi celle de ma grand-mère, de ma mère et de mes tantes, alors que nous partageons toutes le désir d’approfondir notre compréhension d’Alcide et notre lien avec lui. Les traces préservées dans ces archives nous ont ainsi donné les outils nécessaires pour perpétuer son héritage au fil des générations de notre famille.

Ala Rekrut décrit ces documents créés par des gens comme « un moyen de communiquer avec le futur, qu’il soit immédiat ou plus éloigné » [traduction]1. Les archives d’Alcide ont servi de moyen de connexion, de création de liens intergénérationnels avec les futurs membres de sa famille, et l’écart de temps entre les époques y est étonnamment non obstructif. Cette documentation a permis, d’une façon unique, de connaître la famille – passée et actuelle – et d’établir des liens avec elle.

Gaby Novoa est responsable des communications à l’Institut Vanier de la famille.


Note

Ala Rekrut, « Material Literacy: Reading Records as Material Culture », dans Archivaria, no 60, 2006, p. 11-37. Lien : https://bit.ly/33hsigh

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